Iris est terrée dans son lit depuis deux jours maintenant. Depuis que ses yeux ont rencontré les siens. Depuis que les ténèbres sont venus la chercher, une nouvelle fois. Sous sa couette, ils ne peuvent pas l'atteindre. Sous sa couette, elle se persuade qu'elle est en sécurité. Ou peut-être, s'habitue-t-elle à la pénombre éternelle des abysses ? Ceux qui sont son passé ; qu'elle côtoie depuis de longues années ? Et ceux qui l'attendent, encore plus sombres qu'autrefois, ceux qui sont son futur ?Depuis deux jour, sa mère lui dépose, en vain, un plateau repas, trois fois par jour. Il reste là, intact, posé sur le bureau. Il reste là, à observer la jeune-femme, à l'accabler de reproches silencieux. Elle, reste là, inerte, indifférente. Comateuse, elle attend son sort, comme au purgatoire. Comateuse, elle semble déjà morte.
Les journées et nuits se confondent. Elle n'a plus aucun repère. Iris a baissé les bras, a abdiqué. A quoi bon se battre ?
Elle reste là, inerte. Elle fixe le plafond, les yeux voilés, minute après minute?
Puis, quelqu'un frappe à la porte. Trois coups. Elle pense, une nouvelle fois, que c'est sa mère qui dérange son interminable contemplation du plafond et qu'elle finira pas s'en aller. Pourtant, lorsque qu'elle voit la poignée se baisser et Jamie apparaitre dans l'embrasure, cette idée s'évapore et la réalité la cingle. Iris se crispe : elle n'a envie de voir personne. Pas-même son propre reflet. Elle peste, grommelle, l'exhortant à partir mais il reste là, sur le seuil de la porte. Elle ne l'a pas vue depuis la fête foraine, depuis qu'elle l'a tout bonnement abandonné au stand de confiseries pour rejoindre Achille. Elle n'a pas pris de ses nouvelles. Elle a fait la morte, comme toujours. Peut-être qu'il lui en veut. Peut-être est-il indifférent. Elle aimerait pouvoir dire que ce qu'il ressent lui importe mais à vrai dire, elle mentirait. Elle aimerait pouvoir dire que ce que les gens ressentent lui importe, mais à vrai dire, elle calomnierait.
Tu es égoïste. Seules toi et ta douleur t'importent. Tu es égoïste.
Iris entend le parquet craqué sous le poids du jeune-homme, comme si, lui aussi agonisait. Jamie avance vers ce lit qu'elle n'a pas quitté depuis plus de quarante-huit heures.
Pars. Pars avant que je ne te brise.
Pars et ne reviens jamais.
Elle sent l'effluve de son parfum. Il se rapproche. Elle entend son souffle et le sentirait presque sur son visage. Il est là, tout prêt. Il est là mais elle aimerait tant qu'il parte. Comme Achille. Comme tout ceux qu'elle a connus.
Doucement, il s'assoit sur le rebord du lit. Toujours tapie sous ses draps, Iris sent seulement le matelas s'affaisser. Il pose délicatement sa main sur ses longues jambes étendues. Elle frissonne à son toucher, même si le tissu sépare leur épiderme respectif. Désormais, son exaspération s'est transformée en des reniflements qu'elle tente de dissimuler. Elle pleure en silence.
Comment peux-tu être si gentil avec moi ? Comment peux-tu resté alors que je te rejette ?
- Coucou, commence-t-il, tu veux bien sortir de ta cachette ?
Elle marmonne quelque chose d'incompréhensible. Sûrement quelque chose d'acerbe l'invitant crûment à s'en aller.
- Tu sais que l'hivernage est fini ? dit-il dans un grand sourire qu'Iris ne peut s'empêcher d'imaginer.
- Même pas, il va commencer ! s'ésclaffe-t-elle en se relevant subitement tout en enlevant le drap qui cachait sa tête.
- Ah je le savais ! Tu ne peux pas t'empêcher d'avoir raison sur tout et d'étaler ta science. Une fausse info et, hop, c'est suffisant pour te faire sortir de ton lit ! plaisante-t-il, un air satisfait affiché.
Iris, elle, ronchonne mais avant qu'elle n'ait pu se remettre sous sa couette, Jamie l'attrape de justesse et oblige la jeune-femme à le regarder.
- Tu n'es pas obligée de te cacher avec moi. Il affirme, calmement, ses iris plantées dans celles de la jeune-femme.
Iris regarde le jeune-homme. Non, elle le contemple. Lui et sa bonté sans faille. Lui et sa gentillesse qu'elle n'aura jamais. Lui et son innocence, qu'elle n'aura jamais plus. Doucement, elle tapote le matelas à côté d'elle et il n'en faut pas plus pour que Jamie se glisse à ses côtés. Il s'adosse sur le mur tandis que la jeune-femme pose la tête sur son torse. Il caresse ses cheveux en lui susurrant que tout ira mieux. Il la berce en lui promettant que ça s'estompera. Elle voudrait tant y croire, mais aucun mot ne parvient à sortir. Le silence a laissé placé à un requiem. Désormais, elle ne pleure plus en silence. Un torrent de larmes prennent source dans le bleu de ses yeux, s'échouent sur ses joues et finissent leur course folle sur le t-shirt de Jamie. Les larmes, elles, parlent à sa place. Les larmes, elles, hurlent à sa place. Les larmes, elles, racontent son histoire à sa place.
- Jamie... Si seulement c'était moins dur, balbutie-t-elle dans un sanglot étouffé, si seulement ça faisait moins mal.
Il ne dit rien mais ressert son étreinte. Comme si son être pouvait absorber sa peine.
Ô Iris, si seulement je pouvais prendre ton affliction. Ô si seulement je pouvais alléger ton âme. Mais, me le permettrais-tu ? Me donnerais-tu ta peine? N'est-elle pas ce qui te définit désormais ? N'est-elle pas ce qui t'a toujours définie ?
Les deux adolescents restent là, l'un contre l'autre, dans cette petit chambre exiguë et sombre. Ils restent là, malgré la nuit, malgré la vie.
Finalement, Iris trouve le sommeil, dans les bras du quater back. Lui, reste éveillé, à la surveiller, à la bercer lorsque ses paupières tremblent, lorsque ses traits se crispent douloureusement, lorsque les larmes coulent alors que ses yeux restent clos : lorsqu'elle cauchemarde.
"Il m'a tout pris" grommelle-t-elle, toujours assoupie.
Jamie, surpris, se redresse légèrement. Il fronce les sourcils avant de demander :
- Qui Iris ? Qui t'a tout pris ?
- Achille. Mon coeur. Mon attention. Mes pensées. Mon frère. Ma vie.
Elle se dévoile, si brusquement, si intensément, si limpidement. Endormie, ses palissades semblent s'être envolées. Elle est si belle - pense Jamie-. Les yeux clos, les cheveux étalés, les lèvres immobiles. Les traits torturés.
Elle est si belle lorsqu'elle souffre.
La douleur la rend belle.
La peine la rend glorieuse.
La détresse la rend à couper le souffle.
Achille la rend somptueuse.
Iris, jamais, tu ne pourrais me donner ton chagrin. Il est celui qui te définit. Il est celui qui te magnifie. Il est celui qui t'empêche d'abandonner. Il est celui qui te pousse à te battre. Il est celui qui te fait te souvenir. Il est celui qui te fait ressentir.
Il est celui qui te rend humaine.
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Le vent sur ma peau
Teen FictionAchille et Iris se connaissent depuis petits. Les deux adolescents savent tout l'un de l'autre. Ils ne se cachent rien, se disent tout. Leurs peines, leurs joies, leurs amours. Leur amitié semble invincible, immuable face aux dommages de la vie. Pou...