1 - Au petit matin

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Musique : Dust in the wind - Kansas


Il fait à peine jour lorsqu'un nouvel individu passe le panneau d'entrée de la ville, « Welcome to Whistable, Kent, England ». Il foule l'asphalte, d'un pas assuré. On pourrait le prendre pour un vagabond, un nomade, un voyageur de passage mais sa prestance le trahit. Il observe la paysage anglais, d'un œil curieux mais aussi émerveillé, comme s'il redécouvrait un endroit qui lui est cher. Whistable est une petite ville, pleine d'aménité, rustique, traditionnelle du nord-est de l'Angleterre.  Les couleurs bistres du crépuscule lui donnent un charme singulier et miroitent dans l'eau bleu de l'océan. Il est à peine six heures, les rues sont désertiques, immaculées, et l'étranger semble détenir ce spectacle olympien pour lui tout seul, un trésor dont il a l'exclusivité. En cette période estivale, quelques touristes viennent s'aventurer, découvrir cette ville de la côte anglaise. Mais, ils ne sont que coups de vents. Ils apparaissent dès l'aurore puis disparaissent dès que la pénombre a englobé la ville. À cette heure-ci, seuls quelques commerçants, déjà en nage, s'adonnent à leurs activités. L'étranger continue d'avancer, sans sembler dérouté. Il parait connaître la ville comme sa poche, comme s'il y avait vécu. Il croise quelques regards qui le jaugent avec insistance. Certains sont totalement désarçonnés, ahuris, tandis que, d'autres paraissent heureux. Cependant, l'effet de surprise est unanime. Ils sont tous bouche-bée.

Tout le monde se connait ici, tout le monde reconnait les visages. Et tous reconnaitraient entre mille ces bouclettes brunes, cette peau mordorée, ces yeux noisette. Tous reconnaitraient entre mille Achille Sulivan.


À la même heure, les persiennes réveillent en douceur Iris. Elles laissent filtrer la lumière du jour. La jeune-femme papillonne des cils, maugrée dans son oreiller mais finit, enfin, par ouvrir les yeux. Elle peste intérieurement contre cette nuit trop courte à son goût et la fatigue qu'elle amoncèle depuis le début des vacances. Pourtant, en silence, elle se lève et attrape ses affaires posées consciencieusement sur la chaise de son bureau. Après s'être douchée, elle enfile sa tenue de travail – un polo bleu électrique à l'inscription dorée « Welcome to Jo's coffee» -, relève ses cheveux blonds désordonnés en chignon puis quitte doucement la maison familiale où ses parents dorment encore. La jeune-fille travaille dans ce petit restaurant, près du port, pendant l'été, depuis maintenant cinq ans, depuis ses seize ans. Malgré un salaire frugal, elle adore l'établissement, Jordie - le patron- , l'odeur émanant des cuisines, le paysage à couper le souffle, les fins de services, les habitués... Mais, c'est admirer l'aube qu'elle préfère. Elle est d'une beauté sans pareil : les rayons orangés de l'horizon se perdent dans les champs de coquelicots, les oiseaux babillent, les rues sont vides. C'est pour cela qu'elle a demandé le service du matin. Beaucoup étaient rébarbatifs face aux horaires plus que matinaux mais pas Iris. Elle ne cesse de se répéter que l'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt. Elle se persuade, le prône tel un mantra chaque fois qu'elle passe le pas de sa porte. L'air matinal de Whistable l'oblige toutefois à resserrer le pan de son cardigan en lin autour de sa taille. Écouteurs enfoncés dans les oreilles, téléphone intercalé entre ses doigts qui agrippent d'une main de fer l'appareil, elle reste sur ses gardes. Elle avance, elle aussi, d'un pas assuré vers son lieu de travail.

Après une dizaine de minutes de marche, Iris arrive finalement devant la façade du café. Traditionnelle, un peu craquelée, elle n'attire que les gens du coin, les habitués, ceux qui aiment la simplicité et la convivialité. La clochette de la porte retentit et signale son arrivée tandis que la jeune-femme se dirige vers l'arrière du bâtiment pour chercher son tablier. La salle est encore déserte, les banquettes en cuir, abimées par le temps, attendent patiemment leur premier client.

Et le voici. Georges, un homme d'une soixantaine d'année franchit finalement le pas de la porte, à sept heures du matin et vingt-neuf minutes.

- Pile à l'heure, murmure Iris en regardant sa montre qui indique sept heures trente.

Le vent sur ma peauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant