17 - Achille et Patrocle

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Achille est attablé, seul, éclairé seulement par la lueur d'une bougie. Il ne porte qu'un simple t-shirt gris malgré la fraicheur de la pièce mais qu'importe. Il se fiche pas mal qu'il ait froid. Seule une chose l'intéresse à cet instant précis. Seule une chose l'obnubile et efface tout ce qui l'entoure. Seule ce bout de papier compte. Une lettre d'Iris qu'il vient juste de retrouver au fin fond d'un carton. Il savait bien qu'elle était quelque part dans ses affaires, toutes empaquetées dans le garage. Il savait bien que sa mère ne les avait pas jetées, malgré son silence pendant ces quatre longues années. Sa mère lui était restée fidèle. Et lui, que faisait-il en retour ? Il lui mentait frontalement, sans scrupule. Il mentait à tout le monde. La personne qu'il était devenue lui était insupportable. Il n'arrivait plus à se regarder dans un miroir. À chaque fois qu'il passait devant une vitrine, il détournait instinctivement les yeux. Son reflet le débectait. 

Tu me dégoutes, Ach. 

Ce sont les mots d'Iris qu'elle lui avait laissés sur son répondeur peu après son départ. Il les avait  tous écoutés, sans omission. Il ressent encore la déception et la colère dans la voix chevrotante de la jeune-femme. Il entend encore son aversion à l'autre bout du combiné. Mais, il l'a bien cherché, non ? Ces mots, il les méritait. 

Tu es lâche. 

Si lâche qu'il est obligé de se replonger dans des écrits désuets qui ne reflètent plus la réalité. Ces pages ne traduisent plus aucun des sentiments d'Iris. Il le sait bien. Mais, grâce à elles, grâce à ces bribes de leur amitié, il se sent vivant, le temps d'un instant. Un bref moment, il n'a plus honte de qui il est. Un court temps, elle est à ses côtés. 

Il se rappelle bien de l'été avant la terminale. Allongés tous les deux sur le lit d'Iris, en attendant que ses parents finissent d'embarquer les valises dans la voiture, prête à partir pour l'Écosse - là où les grands-parents paternels de la jeune-femme vivaient -Achille avait lancé : 

- Tu m'écriras ? 

Iris a levé les yeux vers lui, un peu hébétée. Elle ne savait pas vraiment s'il rigolait ou non mais elle n'a pas hésité : 

- Bien sûr. Une lettre tous les jours pairs. Comme ça, tu m'écriras les jours impairs, avait-elle affirmé, d'un air mutin. 

Le jeune-homme avait acquiescé, silencieusement. 

Elle savait bien qu'Achille ne le ferait pas. Il détestait écrire, depuis tout jeune. Même une carte postale lui était insupportable. À chaque cours de littérature, il dessinait ou il jouait. Il faisait, en somme, toute activité qui lui permettait d'échapper à ce supplice. Pourtant, il avait cette sensibilité singulière. Il adorait lire et avait un vocabulaire fou, qu'Iris lui enviait. Elle aurait aimé manier les mots et connaître toute leur subtilité comme le faisait si bien le garçon. Mais, malgré sa richesse langagière, Achille détestait poser des mots sur le papier. Se livrer était bien trop compliqué. Alors, Iris n'avait pas été surprise de ne recevoir que deux cartes postales en un mois et demi d'absence. Elle avait même souri face à l'effort du jeune-homme qu'elle lui savait surhumain. Mais, elle, n'avait pas failli à sa promesse. Elle lui avait écrit, sans cesse. Chaque détail, elle le posait sur le papier. Elle savait que le délai d'envoi et de livraison était de six jours. Elle se débrouillait, à chaque fois, pour déposer les lettres au bon moment, afin qu'il les reçoive bien dans l'ordre et les jours pairs. Quand elle n'écrivait pas, Iris s'imaginait le garçon, allongé sur son lit, en train de lire ses lettres, un grand sourire éclairant son visage.Et, elle ne se trompait pas. Achille, tous les deux jours, se précipitait  à la boite aux lettres récupérer ces bouts de papier qu'il chérissait tant. Il prenait un plaisir fou à les lire, alors qu'Iris ne lui comptait que ses journées, ponctuées de visites de monuments et de moments familiaux. Dans une de ses lettres, Iris lui avait même glissé un bracelet tressé bleu. Elle comptait, au départ, lui donner en vrai mais n'avait pu attendre. Iris était bien trop excitée à l'idée de lui offrir, de voir son visage s'illuminer, de les lier, par cette simple ficelle, encore un peu plus. Toujours plus. Depuis, il le portait, sans interruption. Malgré la banalité de ces lettres, chacune d'entre elles l'avait profondément marqué. Et encore aujourd'hui, il se souvient de morceaux de celle-ci. 

Le vent sur ma peauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant