14 - L'ombre d'eux-mêmes

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La porte est close. Devant lui, une porte close se dresse. Un mur qui le sépare d'Iris. Il n'a qu'à se saisir de la poignée, la baisser et pousser la porte pour entrer. Peut-être, est-elle juste là, dans le vestibule. Mais, il aurait beau entrer, la voir, la toucher, lui parler, son coeur lui resterait clos. Il ne peut plus y entrer. Il lui est scellé. 

Achille s'accroupit, un instant sur le perron, décontenancé. Il entend son coeur battre à la chamade. Jamie, en ressassant des souvenirs, a rouvert des plaies. Il entend encore sa voix, rauque et dure, prononcer : "Si je te dis été 89 ?". Il sait. Il sait tout. Comment peut-il être au courant ? Et si, Iris savait, elle aussi ? Impossible ; elle lui en aurait parlé. Ou du moins, il l'aurait vu dans ses yeux. Il aurait perçu dans ses pupilles la haine, le dégout, la bile qui menace de sortir. Il aurait aperçu la vérité dans ses iris. Il est persuadé qu'elle ne sait rien. Mais, si Jamie ne ferme pas sa bouche, elle risquerait bien vite d'en avoir vent. Et le vent risquerait de la happer, de la cingler. Non, il l'étoufferait. 

Dehors, il fait particulièrement froid pour un jour d'automne. Mais, Achille a la peau qui lui brule. Les souvenirs sont à vifs. Ils se confondent avec la réalité. Il ne distingue plus le passé du présent. Il revoit ses yeux qu'il aimerait oublier. Il sent encore sa peau moite. Il sent son odeur, imprégnée encore sur ses vêtements. 

Sors de ma tête. 

Il frappe un coup sec sur le mur. 

- Achille ? Que fais-tu ici ? 

Il se retourne, ahuri. Il reconnait bien cette voix mais ne s'attendait pas à l'entendre, ici, maintenant, à cet instant. 

- Comme toi, Isa. Affronter nos vieux démons.



Le temps est morose. Le ciel n'est devenu qu'épaisse fumée grisâtre. L'humidité est telle qu'elle colle à la peau. Quelques gouttelettes ruissellent des feuilles et se perdent sur les visages d'Achille et d'Isa. 

Le temps est parfait. Il ne pourrait représenter mieux l'humeur massacrante d'Achille. Il en veut à la Terre entière. Pourquoi lui ? 

À ses côtés, Isa, d'habitude souriante, est étrangement silencieuse. Ses traits sont tirés, comme si elle aussi était torturée. Achille croit même apercevoir quelques larmes qui se fondent avec la pluie. Mais, il n'ose pas se tourner pour la regarder attentivement. Les deux restent là, mutiques. Dans ce silence de mort, tous deux observent douloureusement la pierre tombale qui leur fait front. 

- Tu es revenu depuis ? interroge-t-elle dans un murmure, craintive de la réaction du jeune-homme. 

Il ne répond pas et se contente de bouger négativement la tête. Isa se rapproche doucement de la tombe. Elle s'accroupit doucement avant de caresser la pierre polie qui brille. À chaque caresse, à chaque toucher, un souvenir lui revient. Ils reprennent vie sous ses doigts. Elle la parcoure tendrement et s'arrête un instant sur l'inscription : À notre fils. À mon frère. Et pendant un instant, il est là, à ses côtés.

 À toi, mon amour. 

- Ach, tu peux me le dire maintenant. Que s'est-il passé l'été 89 ? brise-t-elle le silence en se relevant brusquement vers le jeune-homme. 

Ses yeux se veulent doux mais Achille voit bien le regard accusateur qu'elle lui porte. Elle veut la vérité. À tout prix.

- Si je te le disais, Isa, ça deviendrait réel. 

Le silence apaise-t-il les maux ? Ou bien, est-ce la vérité qui permet de panser les blessures ? Mais, le mensonge n'est-il pas légitime dans certaines situations ? 

Le vent sur ma peauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant