-Aïe !
Je poussai un cri, tandis que mes genoux heurtaient violemment le sol. Je tombai en avant, face contre terre. Aussitôt, je fus engloutie sous un amas de poudre blanche. Je me relevai en éternuant, la bouche, les oreilles et le nez rempli/es de neige. Je ne voyais plus le ciel empli de flocons, ni le chemin de congères sur lequel je me trouvais il y a quelques secondes à peine. Tous mes sens étaient rendus infirmes par cette masse compacte, qui se pressait autour de moi comme des loups autour d'une brebis blessée.
Je me débattis en criant, effrayée et complètement gelée. Je crus un instant ne pas pouvoir m'en sortir, mais à mon plus grand bonheur, le ciel d'un gris morne de ce début d'hiver finit par réapparaître.
Je rajustai les bretelles de mon cartable. Certes, j'avais échappé à la mort, mais un défi encore plus grand, insurmontable à mon sens, m'attendait ce matin. Aujourd'hui, c'était mon premier jour d'école. Moi qui était si fière et motivée en me levant avant même les premières lueurs du jour, à présent je n'étais que désarmée et complètement désemparée. Je me sentais tout à coup si petite, si vulnérable face à cette immensité glacée que j'avais à traverser.
J'habitais dans la montagne, sur un des plus hauts coteaux, et le premier village se trouvait à plus de deux kilomètres de chez moi. Deux kilomètres, en été, pour un robuste montagnard, ce n'est rien ; mais en hiver, quand on n'est qu'une petite fille de sept ans et que les congères vous montent au-dessus de la tête, ce n'est pas la même histoire. . .
Je me trouvais donc là, plongée dans l'inconnu, à me lamenter sur mon triste sort. L'une de mes paupières me brûlait atrocement. Je l'effleurai du bout des doigts. La douleur s'accrut affreusement, et des larmes me picotèrent les yeux. Elles roulèrent sur mes joues sans que je puisse les retenir, et se transformèrent en glace avant même d'atteindre le bout de mes sabots. Je m'approchai avec précaution d'une plaque de verglas et y jetai un coup d'il. Elle me renvoya l'image d'une frêle fillette, enveloppée dans des châles, bien trop peu pour la protéger du froid, au visage rougeaud et à la paupière droite recouverte de zébrures rouge vif. On aurait dit que quelqu'un l'avait râpée à l'aide d'une roche particulièrement acérée.
Je contemplai tristement mon reflet. Un grand sentiment de solitude, ainsi que la peur commençaient à m'envahir, et me glaçaient tout entière.
C'est à ce moment précis qu'elle est apparue. Je ne sais pourquoi, ni comment elle a décidé de venir à ce moment là, mais j'ai toujours eu la sensation qu'elle parvenait à lire dans mes pensées. Sans vraiment savoir pourquoi, je relevai les yeux.
Elle était là. Belle, magnifique dans son habit roux parsemé de flocons de neige. A quelque distance à peine, elle m'observait, immobile, de ses grands yeux noisette. Sa longue queue touffue à moitié enfouie dans une congère. Gracieuse, la renarde bondit et se retourna vers moi, comme une évidence. Je décidai sans hésitation d'accepter son invitation muette. Je la suivit, et elle me mena droit jusqu'au village. Elle s'arrêta à l'entrée du hameau, et me regarda me diriger vers l'école jusqu'à ce que je disparaisse à l'intérieur.
Tous les matins, des années durant, la renarde m'accompagna le long du chemin. Je me sentais moins seule, et en sécurité auprès d'elle. Je n'avais plus peur. Elle veillait sur moi, et je lui partageais en retour mes joies et mes tristesses. Je n'avais pas besoin qu'elle me regarde, ses oreilles étaient toujours dressées, elle était toujours attentive à ce que je lui disait. Elle était devenue très vite ma plus proche confidente, seule témoin de mes douleurs silencieuses. Parfois, elle trottinait près de moi, et parfois, nous courrions toutes les deux, moi de mes petites jambes maladroites, elle de ses longues pattes agiles. Alors nous riions, moi de toutes mes dents, et elle de son rire de renarde, un rire doux, chaud et profond que je voyais briller dans ses yeux.
Je ne sais exactement pourquoi elle m'a tant marquée. Elle est toujours restée à une certaine distance de moi, comme pour me parer de tout danger éventuel. Elle m'a protégée sans relâche. J'ai plus de soixante-dix ans maintenant, et pourtant, je n'ai jamais oublié cette renarde, ni ce qu'elle a fait pour moi. Je lui voue à tout jamais une profonde reconnaissance.
Ce texte lui est dédié, comme un hommage. . .
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J'étais à côté d'un stand qui militait pour la protection des espèces dites "nuisibles", quand une vieille dame est venue me raconter cette histoire. Cela m'a beaucoup touché.e. . .
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Echappée fantastique
RandomCompilation de nouvelles qui j'espère vous plairont ou vous dérangeront, essais d'écriture divers, petits textes qui me viennent de temps à autre.