Je regarde la table. Les deux assiettes, les deux verres, les couverts. . . Une énième fois. Quand est-ce que je pourrais me libérer de cette vision ? Je ne suis même pas sûr d'en avoir envie. A chaque fois, je crois l'avoir oubliée, et puis mes yeux se tournent traîtreusement vers elle. Je ne peux pas les en empêcher. Et aussitôt, la sensation de vide revient, plus forte encore. Je ne parviens pas à déterminer si je l'aime ou si je la déteste. Est-ce possible, de ressentir en même temps de la haine et de l'affection ?
Et puis, comme tout le temps, je repense à elle, son souvenir m'attrape une nouvelle fois, me jette, me secoue jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien, plus rien de moi qu'une ridicule enveloppe vide. Et alors le long supplice continue, je sais, je sais comment ce sera pour l'avoir enduré mille fois, mais je ne peux qu'attendre, attendre jusqu'au prochain réveil, jusqu'à ce qu'elle se souvienne de sa force et qu'elle recommence.
Et pourtant, je tiens. Je tiens, car un espoir subsiste encore, bien plus grand que toutes les souffrances qu'elle me fait subir. Je me dis que toutes ses douleurs ne sont que la récompense de son retour. Je regarde par la fenêtre, et au fond de moi il y a toujours l'espoir de la voir revenir. Il est tellement grand, que parfois j'ai l'impression de la voir au loin, il me semble même que le vent me murmure à l'oreille le son de sa voix.
Mais alors, c'est la peur qui cette fois, commence à m'envahir. Elle est un peu plus forte chaque jour. Comme une sournoise ennemie, plus je regarde au loin, plus je m'abîme à espérer et plus elle grandit, se fortifie. J'ai peur chaque jour qu'elle ne réussisse à s'emparer de moi pour de bon. Quelle fine stratège, n'est-ce pas ? J'ai peur de la peur elle-même, ce qui m'effraye, c'est d'être effrayé ; c'est un bien ironique cercle vicieux que celui dans lequel elle m'a entraîné, non ?
J'ai peur, car à chaque fois, chaque nouvelle fois que je crois la voir, ses traits s'estompent et ses contours deviennent flous. Sa voix ne faiblit pas, mais son ton devient plus incertain, comme si il ne savait plus exactement sur quelle fréquence se mettre. Lentement mais fatalement, l'oubli envahit mon esprit. Il prend le pas sur son souvenir, et je me mets à prier, prier pour que son souvenir revienne me tourmenter. Je me suis même mis à pleurer, à la supplier pour que la sensation de manque m'arrache encore une fois les entrailles.
Alors oui, peut-être que finalement, j'aime la manière dont il me fait souffrir, comme j'aimais celle qui est devenue mon adorable bourreau. Je soupire, tandis qu'un rayon de soleil traverse la fenêtre. Il tombe sur mon visage blanc comme la mort, éclaire mes orbites vides derrière mes sinistres prunelles, transperce mon corps fin comme un voile qui laisse passer la lumière, et tombe une dernière fois sur la vaisselle poussiéreuse.
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Echappée fantastique
De TodoCompilation de nouvelles qui j'espère vous plairont ou vous dérangeront, essais d'écriture divers, petits textes qui me viennent de temps à autre.