Vous n'en savez rien

9 3 3
                                    

- Je suis ici pour Lily, je commence.

Je sais immédiatement que j'ai tout son intérêt, à la manière dont il se redresse et me fixe avec intensité.

- Je l'aime sincèrement, poursuis-je, et...

- C'est facile, me coupe Potter.

Je reste ébahi : il m'a coupé dans mon discours, que j'ai mis vingt minutes à préparer, avec introduction, développement en quatre paragraphes et conclusion ?

- C'est facile de dire que tu l'aimes sincèrement sans en croire un mot, poursuit-il.

Il se lève, me dominant de sa hauteur (il faut avouer que je ne suis pas très grand non plus, même si je refuserai de l'admettre à l'avenir).

- Comment puis-je être sûr que tu dis la vérité ?

Pardon ? Comment peut-il douter ainsi de la parole d'un Malfoy ? C'est vrai, quoi, on ne ment jamais !

- Après tout, continue l'homme avec une lueur étrange dans le regard, tu n'es qu'un garçon parmi tant d'autres, un garçon qui, certes, a une histoire compliquée, mais ça ne fait pas pour autant de toi un héros, Malfoy !

A présent, il me crie presque dessus.

- Moi aussi, je n'ai pas eu une enfance facile, mais j'ai toujours essayé de m'en servir comme une force !

Je sens la colère monter en moi.

- Toi, tu fais ta victime, Malfoy, tu entends ? Ta victime !

- NON ! je crie.

Je me suis levé à mon tour. Potter semble surpris, il a reculé dans son siège. Tant pis si je dis ses quatre vérités au chef des aurors, je m'en fiche. La colère a besoin de sortir.

- Ne dites pas que nous avons eu la même enfance, c'est faux ! Vous, les gens vous admiraient ! Les murmures sur votre passage ?

J'ai un petit rire.

- Des murmures sur votre talent ! Vous, vos amis, vous avez toujours, toujours été sur le devant de la scène ! C'était mérité, mais il n'empêche que vous, vous n'avez jamais été rejeté de la société, jamais !

Je sens les larmes me monter aux yeux, des larmes de rage et de frustration.

- Vous n'avez jamais vu vos proches pleurer à cause de la pression sociale, vous n'avez jamais connu les mariages forcés, la pression des proches, la déception sur le visage des gens que vous aimez, les choses affreuses qui ont été commises sous votre toit et que vous essayez d'oublier, vous ne vous êtes jamais retrouvé seul contre tous, parce que vous, peu importe ce que vous faisiez, vous aviez des gens qui vous aimaient, des gens qui avaient confiance en vous. Moi, jamais ! Je suis un paria ! Je n'aurais jamais dû naître, selon certains ! Je suis un enfant maudit ! Un enfant qui ne sert à rien si ce n'est foutre le bordel et prendre de la place ! Je ne serai jamais embauché nulle part, mon père a réussi, mais au prix de combien de sacrifices ? Ça, vous n'en savez rien, rien du tout ! Alors ne vous permettez pas de parler de ma vie comme si vous la connaissiez !

Plus je poursuis ma tirade, puis je vois ma chance de donner la lettre à Lily s'éloigner. Peu importe, désormais, je crois que j'ai juste besoin de dire ce que je pense vraiment, à la place de jouer les faux-culs.

- Alors, quand je dis que j'aime Lily, c'est que je l'aime ! Si vous voulez savoir, selon les critères de mes parents et de ma famille, je suis bien trop éloigné du parfait petit Malfoy ! Lorsque ma famille a découvert mes sentiments, vous savez leur réaction ? Non, bien sûr, vous n'avez jamais été confronté à ce genre de problème, ce genre de... de... d'horrible jugement de valeur qui ne se porte que sur votre comportement, vos pensées ou pire votre sang !

J'essuie les larmes, qui roulent maintenant sur mes joues, rouges.

- N'osez pas remettre mes sentiments en question, parce que, vous croyez quoi ? Si je n'aimais pas Lily à ce point, je ne ferais pas tout ça ! Je ne me jetterai pas dans la gueule du loup, offrant à cette presse pourrie jusqu'à l'os de quoi vendre un ou deux articles de plus en racontant la vie de gens qui n'ont rien demandé, de gens qui sont déjà suffisamment en marge comme ça ! Je ne donnerai pas à ce monde qui me déteste l'occasion de me détester encore plus ! Et si ces critiques peuvent atteindre Lily, je me jure d'accepter d'être trainé plus bas que terre si c'est pour elle !

Je respire, tentant tant bien que mal de me calmer.

- Je suis bien le fils de mon père, désolé de vous l'apprendre, je suis un gosse prétentieux, ouais, je suis bien un serpentard ! Je mens, des fois, je ne suis pas toujours honnête, je ne suis pas toujours sympa et jamais modeste, mais il n'empêche que vous...

Je le montre du doigt, et tant pis si ce n'est pas poli.

- ... N'avez pas le droit, ne pouvez pas, remettre en cause ce que je ressens pour votre fille ! Je l'aime sincèrement ! Je suis un paria de la société, je suis le fils de Draco Malfoy, ça oui, mais, allant à l'encontre de mon éducation, des mes amis, des idées étriquées des gens que je côtoie et de la plupart des gens de ce monde, j'aime Lily et je ne laisserai à l'avenir personne affirmer le contraire !

Les larmes coulent à nouveau, et Potter me regarde terminer mon long monologue, sur son visage une expression que je ne saurais pas nommer.

Mais, pour une fois, je me fous du body language.

C'est le père de la fille que j'aime, ce n'est plus Harry Potter, le sauveur ou encore le chef du bureau des aurors.

J'essuie une dernière fois mes larmes, me retourne, puis, sans un mot, quitte le bureau en claquant la porte. J'allais partir quand Potter m'appela :

- MALFOY !

Je me retourne, et, malgré ma colère, retourne dans le bureau. L'homme est debout, face à moi.

Il m'offre un petit sourire, tend sa main et me dit :

- Allez, passe-moi ta lettre, Scorpius. Je la donnerai à Lily, si c'est vraiment ça que tu veux.

Je le regarde avec des yeux ronds.

- Qu'est-ce que tu attends ? demande Potter. J'ai une réunion dans trois minutes !

Avec précipitation, je sors de ma poche la lettre, froissée. L'homme s'en saisit, puis, d'un geste affectueux et maladroit, me tapote l'épaule.

Je me sens immédiatement mal-à-l'aise, mais le visage de Potter à ce moment me fait oublier tout mon malaise avec le contact physique.

Car, derrière son sourire rayonnant, j'ai cru voir ses yeux verts briller un peu plus que tout à l'heure.

Journal d'un serpent, Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant