HAZE

20.

Parfois, Ethan se demande comment une femme comme Hazel peut partir en vrille, comme ça, en un quart de seconde. Il n'a même pas eu le temps de fumer deux cigarettes, pris dans la conversation avec Damiano et Giorgia, qu'il la retrouve à moitié défoncée sur la terrasse une demi-heure après l'avoir laissée seule dans une toute autre pièce de la villa. Ça le dépasse.

— J'ai partagé un joint avec Janis, explique-t-elle en gloussant. J'crois qu'elle a oublié... pour le bébé.

Sobre, la mannequin se serait certainement mise à pleurer. Mais, là, dans cette maison qu'elle ne connait pas et avec des gens qu'elle ne connait pas très bien non plus, elle en rigole. Et ça blesse Ethan, venu la rejoindre sur le muret. Il voulait s'assurer qu'elle aille bien mais « aller bien » est une notion abstraite ce soir. Chacun va mal un peu à sa façon et pour différentes raisons.

Il lui en veut, pour tous les risques qu'elle prend et pour cet état vaguement amoché qu'elle arbore. Et, comme d'habitude, il ne montre rien, gardant un calme olympien.

— Pourquoi tu fais tout ça?
— Parce qu'il m'a appelée, hier.

Il, ou comment tout ramener à son ex de façon subtile.

Ethan passe une main dans ses cheveux, embarrassé. Du coin de l'oeil, Damiano lui fait signe qu'avec Gio', ils rentrent. Le volume de la musique a déjà été baissé d'un cran. La fête est finie sans avoir véritablement commencé, étonnamment.

La nouvelle lui fait quand même l'effet d'un électrochoc. Premièrement parce que, naïvement, il pensait qu'il n'y avait plus de contact entre les deux et, deuxièmement, parce qu'Hazel n'a pas évoqué Dean depuis... longtemps.

— Je perds complètement espoir avec lui, avoue-t-elle, la voix cassée. Ça me soûle...
— Faut pas, Haze. Ta fille compte sur toi.
— Non, non, non. Tu comprends rien.

Elle lève vers lui des yeux rougis. Elle a l'air épuisé tout à coup.

— Il va la récupérer, Ethan. Il va la récupérer et j'veux pas être cette mère qui délaisse son premier gosse pour s'occuper du deuxième comme si de rien n'était juste parce qu'elle a pas su faire les bons choix avec les pères. Tout ça, c'est pas juste pour Ama. Elle mérite une vraie famille, putain. Et je sais même pas lui offrir ça alors que j'suis sa mère.

Encore une fois, ses paroles heurtent le coeur du batteur. Elles feraient du mal à n'importe qui sur le moment, sans aucun doute. Ça lui rappelle de quelques souvenirs du collège où une de ses amies vivait difficilement le divorce de ses parents. La situation est étrangement similaire. Ça dure et c'est usant pour tout le monde, lui inclus.

Finalement, le brun se remet sur ses pieds et la jeune femme l'imite avec plus de difficultés. Lui emboitant le pas, il la surveille un peu. À l'intérieur, tous les autres sont agglutinés sur le canapé d'angle, à les attendre, occupés à grignoter la fin des apéritifs et à chuchoter des choses inaudibles de là où ils se trouvent.

A deux pas de la porte vitrée, Ethan retient Hazel en l'appelant par son surnom un peu plus fort qu'escompté. Ça la gêne un peu, il s'en fiche. Et, interloquée, elle se retourne pour lui faire face. Des mèches de cheveux bruns lui barrent le visage, son mascara a en parti coulé. Même comme ça, elle dégage quelque chose de spécial qui l'impressionne encore six mois après.

Ethan inspire. Il est nerveux, ça se voit.

— Est-ce qu'on peut parler deux minutes?

Hazel semble perplexe.

— On vient de le faire.
— Du bébé, je veux dire, rectifie-t-il.

Brusquement, elle l'attire de nouveau à l'écart, sur cette foutue terrasse. L'alcool est redescendu, il faut croire. Ses iris bicolores plantés sur lui, le batteur se sent un peu bête d'avoir demandé mais au moins, elle sait. Et d'un côté, ça le soulage. Comme pour l'histoire avec Gaia.

— J'suis pas alcoolo ni toxico, Ethan, assure-t-elle. Je voulais juste oublier mes problèmes quelques temps.
— En te mettant mal? C'était ça, ton idée pour aller mieux? Mais Hazel...

Elle baisse la tête en soupirant.

— J'ai pas réfléchi. Et, si ça peut te rassurer, j'ai fait pire pour ma fille quand je savais pas non plus, au début, et elle va très bien.

Ses mots ne le rassurent pas vraiment mais il les acceptent. Il n'a pas d'autre choix que de faire avec de toutes façons. Le regard qu'il pose sur la jeune femme se veut quand même désapprobateur.

— Mais là, tu sais! Tu sais et t'agis mal...
— Tout va bien, répète-t-elle en lui offrant un sourire timide. J'ai déconné et c'était une erreur. Mais, je suis sûre qu'il va bien, ton fils.

La dernière phrase le fait frissonner, ce qu'il dissimule brillamment en remontant les manches de son sous-pull. Ethan a l'air dépité, tout à coup.

— J'ai pas envie qu'il arrive malheur, déclare-t-il dans un soupir, maintenant que je commence à me faire à l'idée.
— Moi non plus.

Hazel est sincère, il le sait au regard sombre qu'ils échangent, seulement illuminés par l'éclairage du jardin. Mais Ethan n'est pas serein. Elle effrite lentement la confiance qu'il lui porte au fil des jours. Ça annonce un scénario tragique.

— Compte sur moi pour être sur ton dos h24. l'avertit-il en se grattant le menton, là où une barbe naissante s'invite. Je vais pas te lâcher.

L'Italo-Suédoise roule des yeux.

— Tu vas te lasser, surtout. J'suis une fille vachement barbante quand j'suis un peu plus normale, tu sais...

Elle s'avance d'un pas.

— J'ai trompé Dean avec toi, ce soir-là, chez Marilou.
— T'as trompé personne, Haze. affirme le brun et son sens de la réparti le surprend un peu. Vous étiez séparés depuis des mois à ce moment-là. C'était une super nuit.

Elle pleure à présent. Tout est confus et sombre dans la nuit.

— Il m'aime encore alors c'est tout comme, non ?
— Ça n'a rien à voir. Il t'a fait vivre des choses horribles et tu le sais.

Ethan passe un bras autour de la jeune femme. Elle s'approche lentement, son corps secoué de petits sanglots. Avec elle, le musicien perd la notion du temps. C'est un cercle vicieux où son ex apparaît et disparaît de temps à autre pour revenir encore plus fort. Elle se laisse dévaster par lui à tous les coups. Consciemment. Il a toujours eu l'ascendant sur elle, une emprise malsaine.

— On va lui offrir ma fille pour de vrai cette fois, c'est obligé. Et je peux rien y faire. Promet que ça ira, même sans elle.
— Ça va aller, la conforte-t-il, la voix se brisant. Je suis là.

Hazel pose sa tête contre son torse et respire son odeur. Il sent bon si on enlève l'odeur de la cigarette, il est beau et carrément à ses pieds, ce soir. Qui l'aurait cru? Pourquoi est-elle comme ça avec lui ? Elle est la mannequin qui a fait flancher le rockeur au coeur tendre, ce putain de cliché ambulant qui la déroute complètement. Pourquoi est-ce que tout fait mal ?

— Tu vois, je suis chiante avec mes histoires, je t'avais prévenu!
— T'es pas chiante. C'est la situation qui est... compliquée.
— Et tu m'aimes. C'est pas très objectif comme réponse.