Chapitre 1 : Celui qui soupirait.

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Le chef de JingYun fronça les sourcils.

Accoudé à l'un des nombreux balcons de pierre qui surplombaient les arènes d'entrainement, il observait les disciples depuis un petit moment.

Pour un œil extérieur, tout semblait parfaitement bien se passer. Les maitres surveillaient les disciples avec attention, guidant leurs gestes avec bienveillance mais fermeté quand il le fallait, reprenant avec eux encore et encore les mêmes mouvements jusqu'à ce que les disciples ne les suivent plus consciemment mais que leur mémoire musculaire fasse suffisamment le travail pour que leurs maitres ajoutent une nouvelle couche à leur apprentissage.

Ces shidi là n'étaient pas les plus jeunes. Ceux là avait entre dix et douze ans. Quand ils changeraient à nouveau de statut, ils seraient des juniors.

C'était à cet âge-là que leur Premier Disciple préférait les instruire. Encore assez malléables pour apprendre vite, trop vieux pour pleurnicher du moindre bobo, mais encore assez jeunes pour s'émerveiller du moindre progrès assez signifiant. C'était aussi à cet âge que la grande majorité d'entre eux voyaient leur Node doré s'éveiller. Quand ça se produisait enfin, c'était toujours un moment de grande fierté pour les shidi et de grande joie pour leurs professeurs. JingYun n'était pas particulièrement à cheval sur le temps que mettaient les élèves à parvenir à ce moment. Certains n'y arrivaient même jamais. Mais ce n'était pas pour ca qu'ils étaient chassés, contrairement à la majorité des autres sectes. JingYun n'utilisait pas de serviteurs. Ceux qui ne pouvaient devenir des chasseurs avaient d'autres carrières qui s'ouvraient à eux dans les murs du temple. Un précédent chef de secte avait calculé que pour un chasseur actif et efficace, il fallait entre cinq et sept personnels non combattants : guérisseur, cuisinier, lingère, cultivateur de navet... Tout ce qu'il fallait pour maintenir un adulte dans les conditions optimales pour aller taper du monstre.
Ce n'était sans doute pas aussi prestigieux d'être paysan pour JingYun que Chasseur, mais lorsque les assiettes arrivaient le soir, débordantes de légumes délicieux et de viande amoureusement élevée, les remerciements n'allaient pas aux chasseurs puants avec leurs chaussettes sales d'avoir trop crapahutés dans les rues et les égouts de la capitale, mais aux agriculteurs qui avaient mit les oignons sur la table. C'était aussi pour ca qu'un maitre de secte, bien des siècles avant, avait fait de la ségrégation entre membres de la secte l'un des interdits majeurs qu'ils devaient tous respecter. Il n'était pas rare qu'un jeune chasseur encore imbu de sa personne parce qu'il venait de participer à sa première chasse au démon apprenne douloureusement cette règle à coups de fouet parce qu'il avait méprisé en face l'un des autres corps de métier qui faisaient tourner le temple. Après en prime quelques semaines à gratter la terre pour en arracher sa propre subsistance, à repriser ses propres chaussettes et à soigner ses propres ampoules, les jeunes idiots en rabaissaient pas mal.

JingYun était fier de JingYun et faisait tout pour que cet orgueil ne soit pas vide de sens. Leur ennemi commun était les démons et même ça c'était parfois sujet à caution.

C'était cette culture de la solidarité farouche qui causait un souci majeur au chef de secte.

"- Ça fait dix-sept."

Le chef de secte jeta un coup d'œil vers le septuagénaire près de lui. Comme la plus part des cultivateurs, il ne faisait pas son âge. Il n'avait pas pris une ride ou presque depuis son trente-cinquième anniversaire.

"- J'avais compté douze mais je réfléchissais."

Le Maitre près de son chef de secte renifla avec un mélange d'amusement et de moquerie.

"- Douze, dix-sept, ca fait tout autant en plus qu'avant."

"- Qu'est ce qui lui arrive ?"

"- Aucune idée du pourquoi, mais en tout cas, il déprime."

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