Chapitre 1 - Tombé des cieux

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Calypso était lasse, terriblement lasse. Depuis combien de temps était-elle condamnée à errer sur cette île ? Des millénaires ? Elle n'avait plus le compte depuis longtemps...

Si elle avait tout le nécessaire pour survivre et même vivre confortablement sur Ogygie, il lui manquait une chose : de la compagnie. Son existence était on ne peut plus solitaire, souhait de ces chers dieux pour la punir d'avoir soutenu son père lors de la Guerre des Titans. Elle avait reconnu ses erreurs, en admettant qu'Atlas et les siens étaient tyranniques, mais elle restait sa fille et, à l'époque, le choix avait paru évident. Les dieux étaient rancuniers, très rancuniers, surtout Zeus. Ainsi, elle se savait ici pour l'éternité. Hermès venait lui rendre visite à peu près tous les cinquante ans, lui apportant des nouvelles fraîches de l'Olympe et du monde, qui continuaient à avancer alors que Calypso, elle, vivait son châtiment éternel. Oh il y avait bien pire ! C'est pour cela qu'elle n'osait pas se plaindre. Contrairement à Tantale ou à Sisyphe, elle ne devait ni souffrir de la faim ni pousser un rocher voué à retomber avant d'atteindre le sommet, en Enfer. Non. Elle vivait sur une jolie petite île où elle avait, au fil des années, aménagé un potager. Sa maison, troglodytique, était entretenue par une équipée de nymphes célestes envoyées l'assister grâce à la pitié d'Héra, sœur et épouse de Zeus, qu'elle ne voyait jamais puisqu'elles avaient l'apparence d'un courant d'air. Au moins avaient-elles le mérite d'être présentes ! Les rares plaisirs de Calypso étaient de jouer de la harpe, jardiner en faisant croître une multitude de fleurs, notamment, observer l'horizon sur le sable fin et traverser l'île sur le dos d'un de ses amis équins... Et attendre...

Attendre qu'apparaisse celui qui ne tarderait pas à le faire. L'homme qui deviendrait son tourment. La raison pour laquelle elle ne payait pas sa trahison dans le Royaume d'Hadès. La solitude, voilà sa punition. La solitude et la promesse d'un cœur brisé. Répétitivement. Éternellement. Le héros qui s'échouerait sur son rivage, elle le savait d'avance, serait irrésistible. Elle aurait beau lutter, le fuir, l'ignorer, l'invectiver, rien n'y ferait. Elle tomberait amoureuse, inexorablement. Viendrait ensuite le moment où, tiraillé par son devoir et son honneur, l'être aimé demanderait à partir pour aller accomplir sa quête, rejoindre sa famille. Chaque fois, c'était pareil et chaque fois, elle se faisait avoir. Après les avoir accueillis, soignés, écoutés, aimés, ils s'en allaient. Elle n'était jamais assez pour eux. Rien qui signifie assez pour rester. Pourtant, la vie qu'elle avait à leur offrir n'était pas si horrible, elle était même très reposante pour des héros dont l'espérance de vie était traditionnellement très courte. Une île déserte, hors du temps, sur laquelle on ne vieillissait pas, un climat idéal, une maisonnée équipée de tout le nécessaire, une femme à aimer... Plus le temps passait, plus Calypso désespérait. Elle ne voulait plus croire en rien, ni en l'amour ni en l'espérance. Elle avait un jour rêvé d'avoir une famille mais cela n'arriverait jamais puisqu'elle était condamnée à rester seule pour toujours. Pas d'homme, pas d'amant, pas d'époux, pas d'enfants, pas d'amis. Rien. Rien que le vide. Plus d'une fois, elle avait pensé à en finir mais rien n'y faisait. Elle mourrait quand Zeus l'aurait décidé et il prenait bien trop de plaisir à la voir souffrir pour s'en priver, à moins qu'il ne l'ait complètement oubliée, ce qui était fort possible. Après tout, le Roi des dieux avait autre chose à penser.

Autrefois, elle avait des sœurs. Un père. Aujourd'hui, elle n'avait plus rien. Seulement, le chant du vent et de la mer, la caresse du soleil et de la brise, et la présence, ma foi réconfortante, de ses compagnes éthérées et de ses chevaux. Ses sœurs avaient été pardonnées de leur ascendance en prenant partie pour les dieux lors de la Titanomachie et son père, Atlas, était condamné à soutenir la voûte céleste pour l'éternité.

Quittant son havre de paix face à l'étendue saline pour retrouver la quiétude de sa grotte, elle-même, véritable paradis, Calypso s'enfonça dans les terres, empruntant les sentiers dessinés par les ans, au milieu d'une forêt de cèdres. Les plantes semblaient s'étirer vers elle à son passage, l'éblouissant de leurs couleurs et de leur pureté. Accessible depuis le sentier venant de la plage, le jardin était divisé en deux parties. À gauche se trouvait un verger regorgeant de pêchers aux fruits bien mûrs, rouge et doré, embaumant dans la chaleur du soleil, de pommiers, de cerisiers, de pruniers, d'abricotiers, de citronniers et de bien d'autres variétés ainsi que de pieds de vignes produisant de belles grappes de raisins parfaitement taillées qui auraient fait pâlir d'envie Dionysos. De-ci de-là s'élevaient des tonnelles fleuries de jasmin, cher à Calypso, et de cent autres plantes. À droite, des légumes et des fines herbes avaient pris racine dans des parterres impeccablement disposés en rayons autour d'une fontaine d'où l'eau giclait par la flûte de Pan de satyres en bronze. Mais la fleur favorite de Calypso était sans nul doute la dentelle de lune qui ne poussait qu'à Ogygie. Sa blancheur virginale qui se mettait à scintiller sous le clair de lune l'avait séduite à l'instant où elle avait posé les yeux sur elle. Elle avait si peur qu'un jour vienne où elle ne serait plus capable de faire attention à pareille beauté. Ici, la nature et ses merveilles étaient ses meilleures alliées et elle souhaitait se souvenir du soutien qu'elles avaient toujours été.

Je reviendraiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant