Gabriel, empathique : Mais Suzie, enfin, tu ne comprends pas du tout ?
Suzie, désemparée, au bord des larmes : Mais de quoi vous parlez ? Qu'est-ce que je dois comprendre ?
Gabriel, le plus doucement possible : Je crois, enfin, on pense que... On est à peu près tous d'accord sur le fait que... Enfin... Hésitant, puis prenant son courage à deux mains : on pense tous que Léo est plutôt content du résultat, car politiquement, il a plutôt toujours voté pour ce parti.
Suzie, relevant la tête, les regardant tous : Comment ça ? Vous êtes sûrs ?
Tous acquiescent silencieusement.
Suzie : Oh mon dieu ! Mais vous en êtes sûrs ?! Je veux dire... Comment vous savez ? Comment moi, je n'ai rien vu, rien compris ???!!
Alix, essayant d'être la plus empathique possible : Tu as toujours été très amoureuse... Tu ne l'as vu qu'à travers tes yeux pleins d'admiration... Tu n'as jamais fait attention ? Des remarques, des commentaires suite à des lectures ou à des interviews que vous avez pu suivre à la télé ?
Suzie : Bah, tu sais... On ne regarde pas souvent ces choses-là ensemble... D'abord, il n'est pas souvent à la maison. Et puis, on a du mal à discuter de cela... Enfin, il ne m'écoute pas beaucoup. Je n'ai pas autant de culture que lui, j'ai fait moins d'études, j'ai un peu du mal à comprendre tout ça...
Juliette, énervée : Mais arrête Suzie ! Arrête de te dévaloriser comme ça ! Tu n'as pas vu qu'il te rabaisse en permanence... ?
Alix, la coupant : Juliette, arrête, c'est pas le moment...
Juliette : Bah, si, c'est le moment !! Suzie, ouvre les yeux ! Regarde comme il se comporte avec toi, bon sang !
Suzie, interloquée : Quoi ? Il s'est toujours bien comporté !
Juliette : Ah oui... Il te laisse tout faire à la maison, même quand tu as repris un petit boulot pour t'en sortir financièrement quand vous avez acheté un appartement plus grand. Vous ne partagez pas grand chose ensemble sauf les vacances avec Lilou. Il est super tâtillon sur la façon dont tu t'habilles, ce que tu lis, ce que tu regardes... Mais enfin... Ouvre les yeux !
Suzie : c'est vrai que je ne m'achète plus rien toute seule, car j'ai souvent dû rapporter des vêtements en magasin...
Alix la regarde effarée.
Juliette : Voilà ! Tu vois...
Sylvain : Sans parler de ses remarques...
Suzie : Quoi ses remarques ?
Eddy, reprenant : Ses remarques petit bourgeois sur... Il réfléchit... L'assistanat social...
Alix : Ah oui, c'est clair que je m'en suis pris plein la tronche régulièrement.
Eddy, reprenant à nouveau : L'administration, le service public...
Gabriel, en soupirant : Ah oui, les profs, leurs vacances, leurs salaires... Ah, par contre, les effectifs policiers, nickel !
Sylvain, en regardant Suzie : sans parler de la culture...
Suzie, réalisant tout à coup : Non... Mais oui... Mon dieu... Oui, il m'a demandé plusieurs fois si mon travail artistique n'avait que cette esthétique. On a fini par ne plus en parler du tout, car à chaque fois, c'était des engueulades à n'en plus finir ! Cela fait un moment que je ne lui montre plus mon travail. Et quand j'ai dit qu'une galerie était prête à m'exposer, il a cru que je blaguais. Mais oui, il n'est jamais à la maison, quand j'invite mes copains artistes...
Tout à coup, elle comprend...
Suzie : Et souvent, quand je rentre, après un week-end chez mes parents, je comprends qu'il a dû recevoir des potes à lui...
Tous se regardent embarrassés, mais soulagés qu'elle se soit rendue compte de tout ça.
Suzie : Mon Dieu, mais qu'est-ce que je vais dire à Lilou ? Elle a déjà beaucoup de mal avec son père, ses remarques désobligeantes sur la façon dont elle s'habille, sur qui elle fréquente... Et puis...
Regardant Alix, en portant la main sur son ventre...
Juliette : Tu sais, penses d'abord à toi. Que veux-tu faire ? Lilou te suivra, je pense...
Suzie : Je n'vais plus pouvoir le regarder en face, plus pouvoir lui parler...
Et tout à coup, résolue.
Suzie : Il faut que je parte, je dois partir. Mais pour aller où ? Comment je vais vivre ? Et Lilou ?
Elle se sent perdue.
Juliette : Écoute, on habite pas loin de chez vous, et pas loin de ton collège, on a grand, on a même un atelier si tu veux.
Eddy comprenant ce que sa femme va dire lui fait non de la tête. Elle le regarde furieuse.
Juliette : Viens à la maison dans un premier temps, pose-toi, réfléchis.
Suzie, encore hésitante, comme pour se persuader : Oui, c'est ça... C'est ça que je vais faire.
Elle se lève.
Suzie : Oui, je vais partir, je vais gagner ma vie.
Gabriel : Tu as déjà un boulot, tu sais... Les élèves t'aiment bien au CDI.
Suzie, de plus en plus vindicative : Oui, et je vais travailler mes peintures, créer, créer... Exposer, vendre mon travail... Lui montrer que je peux y arriver sans lui, sans son avis, sans ses commentaires, sans ses regards désobligeants, sans sa pitié, sans son fric, sans ses polos que je dois laver à 30° et pas à 40°, sans sa voiture que je ne dois pas toucher, sans les histoires de sa boîte, de son patron qui a réussi, lui...
Les autres se regardent un peu gênés.
Juliette, essayant de calmer le jeu : Hum... Viens d'abord passer du temps à la maison, tu vas pouvoir réfléchir tranquillement à la suite. Lilou peut venir aussi, nous avons de la place.
Suzie : Merci, merci beaucoup. J'y vais ! (en montrant la fenêtre) Il n'est pas à la maison. Je file, je vais parler avec Lilou et faire quelques bagages. Je vous appelle avant d'arriver chez vous.
Suzie sort de scène, plutôt heureuse, le corps en avant, redressée.
Regards furieux d'Eddy.
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L'élection (pièce de théâtre)
HumorUn dimanche soir. Deuxième tour des élections présidentielles. Six amis se retrouvent pour passer la soirée électorale, un bon moment sans forcément de rapport avec l'élection elle-même. Le résultat de l'élection n'est qu'un prétexte pour se retrouv...