ACTE 5 - SCÈNE 2

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Sitôt la porte fermée, Eddy explose : Merde, Juliette... ! Tu aurais pu m'en parler avant de lui proposer. On est deux dans cette maison que je sache ! Et puis Lilou, quoi ! J'ai pas envie d'une ado de 16 ans, amorphe et sur son portable en permanence ! Merde quoi !

Juliette, ironique : OK... Donc, là, tu vois une amie dont la vie vient de s'effondrer et qui a besoin de réconfort et d'un soutien, et il faudrait qu'on palabre, qu'on pèse le pour et le contre avant de lui proposer une solution ?! Non, mais, on est dans l'urgence, là !

Regard un peu gêné d'Alix, Sylvain et Gabriel.

Eddy : Urgence, urgence... C'est bon, quoi... C'est pas un mari violent non plus ! Elle peut prendre le temps de réfléchir et de trouver une solution elle-même ! Et puis si ça se trouve, Lilou n'aura absolument pas envie de venir vivre chez nous !

Juliette, cynique : Ah beh, oui, bien sûr, y a pas de bleu, pas de bosse, pas d'oeil au beurre noir... Mais la violence psychologique, tu y penses ?! Tu es quand même d'accord avec le fait qu'il la rabaisse, qu'il la dévalorise, y compris aux yeux de sa propre fille qui ne peut rien dire... Et ça fait trop longtemps que ça dure.

Alix : Je culpabilise de ne pas lui avoir dit plutôt.

Sylvain : Oui, on se l'est tous dit. Déjà au début de leur mariage...

Eddy : Merci Sylvain de ton soutien...

Gabriel : Et puis, pour Lilou, elle a peut-être 16 ans, mais elle n'est pas naïve non plus, contrairement à sa mère. Grâce à Juliette d'ailleurs !

Eddy, se tournant vers Juliette : Grâce à toi ? Tu m'expliques ?

Juliette : Bah oui, ne pouvant pas vraiment aider Suzie, je te rappelle que mes venues n'étaient pas vraiment appréciées chez eux, j'ai pris Lilou sous mon aile. Je l'ai souvent gardée quand elle était petite, je ne sais pas si tu te souviens. Eh bien, au fil des années, on a gardé une complicité, elle s'est beaucoup confiée sur les relations entre ses parents. Et elle a même rejoint mon association pour militer notamment pour l'autonomie financière et l'indépendance des femmes ! C'est elle qui a convaincu sa mère de prendre ce boulot de documentaliste ! Donc, le côté ado larve et scotchée à son téléphone, tu repasseras !

Eddy, résigné, sur un ton qui se veut énamouré pour calmer la situation : OK. Mais bon, chez nous, c'est pas une solution ! C'est peut-être grand, mais c'est une solution provisoire, on est d'accord ?

Juliette, regardant son téléphone, un peu distraite : Mmmm...

Juliette, relevant la tête et s'adressant à Alix : bon, Alix, t'es prête à lever le poing ? Car là, y a des manifs qui s'préparent, et beaucoup chez les féministes !

Alix : Écoute, oui, je n'aime pas trop les bains de foule, mais là, je n'peux pas rester sur mon canapé !

Juliette, regardant à nouveau son téléphone : C'est dingue la mobilisation dès ce soir ! Là, j'ai des collègues de philo ou français qui sont en train de revoir les textes qu'ils vont faire étudier à leurs élèves, pour aborder les thèmes de l'intolérance, de la différence...

Eddy : Euh, les filles, franchement, stop ! Vous ne trouvez pas que vous en faites trop ?

Sylvain : Ouais, alors, euh... c'est pas un peu tard pour étudier ces textes ? Le vote est tombé... Et puis, c'est peut-être plutôt des textes sur la démocratie, le débat, la constitution qu'il faudrait étudier, non ?!

Juliette les regarde interloquée et explose.

Juliette : Non, mais écoutez-vous ! C'est pas possible, les deux croûtons, là !! On en fait trop... Y a pas d'urgence... Et vous comptez faire quoi vous ?

Eddy : Arrête... Tu sais bien qu'on est d'accord avec vous. On est peut-être un peu moins excessif, c'est tout.

Gabriel regarde Juliette sur le point d'exploser, puis le regarde effaré pour lui dire d'arrêter.

Juliette, en colère et cynique : Excessif ? Excessif, tu dis ? Mais c'est ta lâcheté qui est excessive !! Tu as fait quoi pour essayer d'éviter la situation qu'on a ce soir ? Voter... ? Ah non, pardon, c'est vrai... T'as oublié, entre les croissants et le pain ! Ton boulot peut-être ? Ah non, pareil... Changer le monde en vendant des croquettes végans pour chiens et chats, y a que toi qui y crois ! Ah, ça, t'es grande gueule, c'est sûr ! Et je gueule sur les 4x4, sur les riches, les parisiens, les écolo trop bobos pour être honnêtes, les ados, les vieux cons, les jeunes cons... Mais t'es en train d'en devenir un, vieux con ! Oui, parce que tu n'es plus très jeune... Mais tu t'es engagé à un moment ? T'as donné de ta personne ? T'as milité ? T'es rentré dans une asso ? Ah bah, non, c'est vrai, t'as pas le temps, tu bosses toi !

Tout en lui parlant, elle s'est rapprochée de lui.

Eddy, explosant à son tour : Oui, je n'ai pas voté ! Et alors ?! ça n'va pas changer la face du monde non plus ! Et oui, je bosse ! Et tu étais bien contente de ce boulot avant de trouver le tien ! Et non, je ne suis pas engagé dans une asso ! J'ai essayé, mais ce n'était jamais assez bien selon toi, jamais assez fort, assez militant... Y a rien qui trouve grâce à tes yeux, à part le féminisme ! Les femmes ceci, les femmes cela... J'ai même failli adhérer à ton asso car, figure-toi que, moi aussi, je trouve important l'égalité femme-homme... Oui, moi, le vieux con, comme tu dis ! Mais je n'ai pas osé, car j'ai eu peur de ne pas être à la hauteur de tes ambitions et que tu me rabaisses devant tes copines. Eh oui... Donc, le vieux con, il t'emmerde !

Gabriel, gêné et voulant désamorcer la tension entre les deux : Arrête, Eddy, arrête ! Tu ne le penses pas en plus !

Eddy : Mais qu'est-ce t'en sais, toi ? T'es dans ma tête ? Ah beh, c'est sûr que toi, tout le monde t'aime, avec tes péripéties à la M. Hulot ! Tout le monde te défend !

Juliette, sonnée par ce qu'Eddy vient de lui révéler, au bord des larmes, essaie de faire machine arrière : Mais arrête, Eddy, c'est pas vrai... T'es juste plus dans les mots que dans l'action. Et que peut-être ce qui s'est passé ce soir devrait te pousser à l'action.

Alix : Mais, oui, on t'aime aussi Eddy, c'est juste que parfois, tu montes un peu trop vite dans les tours...

Sylvain, essayant de faire de l'humour : ... Oui, et ça peut être haut, une tour... ça fatigue...

Eddy se lève énervé.

Eddy : Mais vous m'faites tous chier ! Oui, je suis grande gueule ! ça vous faisait rigoler quand on était jeunes, vous en redemandiez, mais là, c'est pas assez bien. C'est pas mon truc l'engagement militant à fond, mais je soutiens à ma manière ! Tout le monde ne peut pas être Louise Michel, non plus ! Alors, si vous ne supportez plus le gueulard, le gueulard vous dit bonsoir !

Et il sort, en claquant la porte.

L'élection (pièce de théâtre)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant