Try Again !

Chapitre 2

"Nuit de pleine lune, formes crochues, branches sans feuilles, ombres tranchantes, gueules affamées"

A peine le temps de trébucher, que je cours déjà, je n'examine pas les premiers arbres, ils m'ont déjà coûté une vie. L'image du dernier chiffre brille dans mon esprit, "...Sept...", sa pulsation a accéléré.

"Cet arbre à droite, cette branche, non, beaucoup trop fine, elle ne tiendrait pas. Celle-ci ? Trop près du sol. Allez ! Une branche ! Juste une branche à la bonne hauteur !"

Je serre les dents un peu plus.

"Que se passera-t-il si le compteur arrive à zéro et que je meurs encore ?"

Une brindille craque sous une patte non loin de moi.

"Il ne faut pas que je les voie, je dois continuer à chercher !" J'expire, ma gorge est sèche. Un arbre attire enfin mon attention. Contrairement aux autres, son tronc plus large s'est comme dédoublé très tôt, le rendant plus facile à escalader. J'aperçois une grosse branche à environ trois mètres du sol, c'est la bonne ! Je tourne mais au même moment des crocs viennent se planter dans ma jambe. Je tombe, mais cette fois, je sais quoi faire.

"...Six..."

Au deuxième pas je cours déjà en direction de l'arbre au double tronc. Mon cœur bat la chamade. Il me semble rejoindre le fameux arbre en un rien de temps. Je saute avec tout mon élan et m'agrippe comme je peux.

Un grognement dans mon dos, poussée d'adrénaline, je me hisse un peu plus, ça pique au bout des doigts. Les crocs d'une bête atteignent ma jambe.

"AAAAH !"

Ils n'ont pas réussi à s'enfoncer. Je retire mon pied, me pousse, l'écorce taillade mes bras et mes jambes.

J'atteins enfin la branche, tous les muscles de mes bras tremblent, ma jambe me brûle mais je suis hors d'atteinte. En dessous de moi, quatre paires d'yeux aboient avec rage. Ils ressemblent à des loups. Leurs poils se dressent comme des épines.

L'un saute, je recule ma tête, glisse, serre la branche plus fort et ne bouge plus.

« Et après ? »

Les minutes passent, les monstres salivent en-dessous. Je suis pris d'un frisson lorsque l'un d'eux tente d'escalader le tronc mais ses pattes dérapent. Ouf. Les loups aboient pour me déstabiliser. Au fond de moi une petite voix veut me convaincre qu'ils ne peuvent pas m'atteindre mais une autre me murmure :

« Que comptes-tu faire maintenant ? »

Depuis combien de temps suis-je accroché là ? Quinze minutes, une heure, Des douleurs auxquelles jusque-là je ne faisais pas attention se font de plus en plus sentir. Ma jambe mordue, les éraflures sur mes bras, je sens venir des crampes un peu partout. En dessous, les molosses ont compris, ils ne sautent plus. Chaque fois que je glisse un peu, ils frétillent mais leurs orbites en feu me réveillent, je me replace. J'ai encore en mémoire les autres fois où ils m'ont dévoré. Je ne veux plus revivre ça.

" Et après ?"

...

Deux monstres sont partis, les deux autres réagissent peu à mes mouvements. Ma crainte de tomber ne me garde plus en équilibre. Je ne peux plus ignorer cette voix dans ma tête, le sinistre murmure du désespoir.

"Pourquoi restes-tu sur cette branche ? Tu souffres le martyr, non ? En quoi est-ce mieux que d'être dévoré ? Tu sais déjà comment tout cela va finir... Vas-y.... laisse toi tomber..."

"Ah... oui... Tu ne veux plus revivre ça. C'est vrai que ce n'est pas agréable mais nous trouverons une autre solution la prochaine fois. Comment rester perché sur une branche pourrait être la sortie d'un tel piège ? Imagine que c'est un jeu vidéo, as-tu déjà vu un niveau où l'on gagne en restant immobile des heures sur une plateforme. Le passage secret est en bas, c'est une évidence. Tu as raison d'en avoir marre, mais ne désespère pas, tu n'as pas encore exploré toutes les combinaisons, il y a encore de nombreuses directions possibles dans cette forêt. Va-y.... laisse toi tomber..."

"Tu as peur de ce décompte... Es-tu si sûr de ce qui se passerait s'il arrivait à zéro ? Si ça se trouve nous serions libérés, ce cauchemar s'arrêterait et nous nous réveillerions dans notre lit... Vas-y laisse toi tomber..."

"Tu penses sérieusement que c'est la seule issue ? ... Peut-être... Mais tu pourrais réessayer en t'y prenant mieux cette fois... Tu as quatre vies, regarde ta position, elle n'est pas confortable du tout. Tu as eu une bonne idée en montant sur cet arbre mais Il y en a peut-être d'autres plus adaptés. Tu pourrais être assis plutôt que couché. Va-y.... laisse toi tomber..."

...

Mes yeux se ferment. Un étrange éclat bleu me caresse un moment mais ma torpeur me rattrape vite. Plus rien ne fait sens. Mes jambes, mes bras, mon cœur, les molosses, tout est mélangé, comme un bouillon insipide. "Pourquoi suis-je encore là ? Quel intérêt y a-t-il à tout ça ?"

"Aucun ! C'est ce que je te répète depuis tout à l'heure ! Tu as perdu ton temps, tu t'es rendu fou ! Réfléchis encore un tout petit peu, tu n'as plus de force, et tu es à trois mètres du sol, même s'il n'y avait pas les molosses, tu te briserais la nuque sous le choc de la chute... Ce ne serait même pas les monstres qui te dévoreraient, ce serait toi qui après avoir courageusement tenu sur cette branche, te tuerais toi-même, c'est une première victoire, non ? Allez, on a encore quatre chances... tu t'es bien obstiné, tu peux être fier... Maintenant... Tombe..."

Mes muscles se relâchent les uns après les autres, je dérape. Une douce lueur dorée baigne mes paupières, "Serait-ce le bout du tunnel ?", je tombe, tout devient léger, il me semble partir dans un autre monde. Je m'arrête en douceur. Serait-ce mon oreiller ?

- Et ben ! T'es pas une lumière toi, perché sur cette branche... t'as d'la chance que je passe par-là !

Qui me parle ? J'ouvre péniblement les yeux, tout est flou, mais chaleureux.

- Qu'est-ce que je vais faire de toi ? Tu peux même pas marcher. Le soleil se lève, j'ai des choses à faire moi !

Ma vue s'éclaircit un instant, des feuilles vertes, le ciel bleu, les nuages blancs, et au premier plan, un visage, "Qui est-ce ?" Déjà mes yeux se referment mais tout n'est pas noir. Aucun chiffre n'apparaît, je n'ai pas été dévoré.