Try Again !

Chapitre 12

Ombres filant dans la nuit, nous courons à toute allure vers les cris. Slalomer dans la forêt nous ralentirait, Mad nous a mis sur un chemin de terre, nous arriverons à la ville avant l'aube.

- Bois ça vite ! C'est une potion de vigueur, tant que tu en avales régulièrement tu sens pas la fatigue. Faut pas en abuser parce que quand t'arrêtes, tout te retombe dessus, mais vu ce qui se passe on a pas le choix.

- Et cette autre fiole, qu'est-ce ?

- C'est pour voir dans le noir. Ça dure pas longtemps et j'en ai qu'une donc il faudra qu'on trouve autre chose en route... Oui, je sais, le goût est dégueu, mais fait avec...

Les gourdes et bombes à feu se balancent à la ceinture du Ghoulslayer. Le vent siffle dans mes oreilles. À chaque pas, la plainte de Hiribur se fait plus repoussante, elle a beau renfermer toutes les réponses à mes questions, tout mon corps me dit de ne pas m'en approcher.

- Voilà ce qui va se passer Alix. Quand les Ghouls et leurs familiers te remarqueront, ils t'attaqueront en priorité. Défends-toi avec ton bouclier, j'en profiterai pour les buter. Mais notre première mission, c'est sauver les habitants. Aide les enfants et les blessés à monter aux arbres. N'essaie pas de les soigner, rassure-les seulement...

"Comment rassurer quand on est soi-même terrorisé ?"

- Maison, droit devant !

Le chemin s'élargit un peu, quelques planches vites assemblées se libèrent des ténèbres sous le halo de la Lune, Mad toque à la porte.

- IL Y A QUELQU'UN ?

Un craquement de plancher.

- OUI ? répond une voix apeurée.

- C'est Mad, le Ghoulslayer, la ville est attaqué, sortez de là et réfugiez-vous sur des hautes branches solides plus au sud, vous n'êtes pas en sécurité ici !

Mad n'attend pas plus longtemps, nous repartons au pas de course.

Nous traversons ce que j'ai le temps de reconnaitre comme un pont au-dessus d'un ruisseau. Nouvelle ferme en vue, un beuglement puissant et des plaintes glaçantes suivent en rafale.

- Merde ! Ils sont déjà...

La bête nous surprend tous les deux, je pile, elle s'écrase violemment contre l'épaule du Ghoulslayer. À peine déséquilibré, il défie le monstre.

- DANS TON DOS ! me hurle-t-il.

Le frisson me retourne juste à temps pour surprendre l'approche sournoise d'un autre animal, une panthère aux yeux de sang. Un liquide pourpre sombre coule de sa gueule, je me crispe, le fauve sent ma peur se décale et me charge, j'interpose mon bouclier, le choc est plus brutal qu'à l'entraînement avec Mad, je suis jeté au sol.

"Elle va me tuer, elle va me tuer !"

Je ferme les yeux... Rien.

Je les réouvre, la panthère boite devant moi.

"Pourquoi ? Le bouclier d'épines ?"

Éclair, du sang gicle sur mon visage. Quelque chose de visqueux tombe sur ma jambe, des boyaux, ceux de la bête. Mad a dû la trancher en deux. Un geyser de nausée me remonte. Je me relève, cours, trébuche, repars, m'emmêle, titube. Mon corps est en plein crash et ma tête cherche le bouton du siège éjectable.

Une maison, n'importe quoi, un refuge.

- Alix ! Où vas...

Un cri d'enfant l'interrompt.

- MAMAN !

La porte d'entrée de la ferme explose devant moi. Deux ogives incandescentes surplombées de cornes déchirent la nuit. Un Minotaure, une gueule immense, et entre ses dents, le corps d'une femme...

Un spasme remonte mon cœur dans ma gorge, la mâchoire du monstre claque et les morceaux de chair éclaboussent les planches de bois encore debout.

C'est le détonateur, ma tête trouve le bouton de sauvetage et s'expulse de mon corps. Un hurlement essaie de m'atteindre, mais je m'évanouis plus vite que le son. De qui vient-il ? Même s'il vient de moi, cela n'a plus d'importance.

Un dernier flash écarlate, sans doute la Ghoul-Taureau, mais je ne veux rien savoir.

Noir.

"...Cinq..."

"Lune effrayée, monstre hurlant, cœurs tambour battant"

- Il n'y a plus de doutes, il va te falloir être fort Alix...

Il me faut bien dix secondes pour atterrir.

"Je connais cette situation, j'ai fait une boucle comme à la première nuit"

Tout remonte. Je tombe à terre et vomis mes tripes.

- Qu'est-ce qui te prend ? s'étonne Mad en reculant

- NON ! NON et NO...

Nouveau haut de cœur.

- Je n'irai pas ! C'est mort !... Tu oublies !

Je cherche mon souffle.

- Alix ! C'est pas le moment de...

- STOOP ! Mad ! Non ! Pas d'histoire ! J'y suis allé, je les ai vus, la...

Je crache.

- Une Ghoul à tête de taureau, des panthères, le sang... Quelle horreur ! Ce n'est pas un jeu ! FAITES-MOI SORTIR D'ICI ?!

- À qui tu parles ? De quoi...

- Je ne délire pas Mad. Je sais que tu ne me crois pas, que ça te parait fou, mais j'ai vu ce qui nous attend dans les fermes en bas. Con...Considère ça comme une vision du futur, ou... je ne sais pas, ça m'est égal, je n'y retournerai pas...

Je me recroqueville sur moi-même. Un nouveau cri strident au même moment hérisse tout mon corps.

- Alix... Je comprends pas bien ce qui t'arrive, mais j'ai pas le temps de te forcer. D'autres gens ont besoin d'aides là-bas. Si tu m'accompagnes, oui, y a des chances que tu meures ou soit blessé. On est loin de la vie paisible dont tu rêves. Mais c'qui est sûr, c'est qu'à deux nous sauverons plus de vies... Je vais chercher deux, trois affaires et je repasse ici. Si tu choisis de rester, tu te démerdes, mais tu te fais pas bouffer, j'ai pas envie qu'une Ghoul ou un familier obtienne un pouvoir inhabituel par ta faute. Essaie de rejoindre un village au nord en contournant Hiribur par l'ouest. Voyage toujours de jour, la nuit récupère du crottin de chevreuil ou de ce que tu veux et badigeonne-toi avec, ça cachera ta présence.

J'entends ses pas s'éloigner. Je resserre un peu plus mes bras sur mes jambes. Les grondements me remplissent, je bouche mes oreilles, ferme les yeux. Des lueurs rougeâtres flottent sous mes paupières.

"Pourquoi moi ! Pourquoi ?"

Je suis dans la même situation que la première nuit, adossé contre l'arbre, prêt à m'y fondre. Je sais déjà la suite. La boucle recommencerait elle ? Ce soir-là, ne pas bouger ne m'avait pas sauvé.

"Cette fois, où trouverai-je la branche qui m'enlèvera à la mort ?"

Je reconnais les pas de Mad derrière moi. Je me retourne. Les rayons de la Lune dessinent sa carrure massive. Je ne peux pas bien voir son visage, mais je devine son regard ferme. Dans sa main droite, sa hallebarde géante, dans sa main gauche, mon bouclier.

Je me lève, encore fébrile.

- Allons y...