Lui

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Dix ans plus tard...

Lui

Je pris une grande inspiration. Le stress me nouait la gorge, et il devenait de plus en plus difficile pour moi de respirer ; j'avais l'impression que ma cage thoracique se réduisait petit à petit.

J'essuyais le peu de sueur qui perlait sur mon front et replaçai quelques mèches nerveusement derrière mes oreilles.

Ma jambe tremblait frénétiquement. J'essayai de la contenir, en vain.

Cela faisait déjà une semaine et demie que j'avais commencé à angoisser pour ce jour. Je m'étais senti nauséeux ce matin, et je n'avais rien avalé depuis deux jours. J'avais l'impression que mes jambes s'étaient transformées en mousse en l'espace de quelques minutes.

J'avais les mains moites.

J'espère que ça ne m'empêchera pas de jouer.

La salle était pleine à craquer de gens venus me voir, venus écouter mes morceaux.

Aucune lumière n'était encore allumée, aucun projecteur n'était tourné dans ma direction. J'étais assis devant mon piano, les mains sur les genoux.

Je tendis l'oreille. Plongés dans le noir complet, les gens qui étaient en train de s'asseoir en insultaient certains :

-Aïe, vous m'avez marché sur le pied !

-Oups, désolé !

Cela m'amusa, et je fermai les yeux pour essayer de contrôler ma respiration. Je pris quelques grandes inspirations, et je sentis mon pouls dans mon cou se calmer un peu. Tout ce que j'avais à faire, c'était arriver à faire abstraction des gens autour.

C'était tout.

Et après, je devais jouer.

Les lumières s'allumèrent, il était vingt heures pile.

Enfin, j'y étais. C'était mon moment.

J'entendis quelques applaudissements, quelques cris, et je me forçai à ne pas jeter un œil vers l'audience, pour ne pas m'angoisser encore plus. Je savais qu'il y avait beaucoup de monde, j'avais intérêt à ne pas rater.

J'attendis le silence le plus total pour commencer à jouer.

Les notes sortirent du piano très joliment. Je fus surpris de la qualité du son qui se répercutait à travers la pièce.

Pas trop vite, Elias.

J'avais composé entièrement ce morceau.

Inutile de préciser son titre.

Je l'avais composé pour elle.

Je fus emporté par la musique, comme toujours, et, à la fin du morceau, je fus gagné par cette satisfaction que je recherchais dix ans plus tôt lorsque je jouais.

Lorsque le morceau se finit, il y eut d'abord un silence.

Puis je rouvris les yeux, et un tonnerre d'applaudissements me fit sursauter.

J'entendais des gens siffler, hurler jusqu'à s'en briser les poumons. Je souris. Cela me faisait beaucoup de bien. Je fus alors pris par ce sentiment de fierté ; oui, j'étais fier de moi.

J'avais accompli quelque chose, et j'en étais fier. J'étais allé au bout, au bout de tout ça, au bout de mes envies, de mes idées.

Les pensées avaient arrêté de tourner dans ma tête, et à ce moment précis, je me sentis libéré. Elles avaient été prises de court. A ce moment-là, plus rien ne pouvait m'atteindre. Je me sentais fort.

Je me levai et saluai le public. J'avais mal aux joues tellement je souriais.

Je parcourus les yeux parmi les rangées de gens debout. Je vis ma mère, les larmes aux yeux, et je lui envoyais un baiser ; je savais qu'elle était fière, elle aussi.

Au moment où les rideaux se fermèrent, je fus attiré par un éclat dans la foule.

J'aurais juré avoir vu des yeux bleus et un visage que je ne connaissais que trop bien m'observer, et me dire merci, pour elle aussi.

Mais après tout, ce n'était peut-être simplement que la lumière...

L'homme au pianoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant