Plus tard, je retournai dans ce grand champ où nous avions été plusieurs fois ensemble.
Une légère brise m'ébouriffa les cheveux, que je replaçai d'un mouvement habituel du poignet. Mes boucles étaient emmêlées, et cela faisait longtemps que je ne les avais pas coupées ; elles descendaient maintenant en cascade dans le milieu de mon dos. Je les attachais machinalement en un chignon rapide, mais quelques mèches s'en échappèrent. Tant pis.
J'avais un peu froid.
En revoyant cet endroit, je fus surpris par sa beauté. Je l'avais déjà remarquée lorsque n'étais venu pour la première fois, mais la beauté de la femme avec qui j'étais m'avait passionné encore plus, tellement que je n'avais pas vu à quel point cet endroit était beau.
Les fleurs de différentes couleurs étaient toujours là, mais elles s'étaient légèrement assombries. Une légère brume surplombait la forêt au loin ; On pouvait voir des oiseaux voler d'arbre en arbre, se courir après, et se poser finalement sur le sol. La lavande m'effleurait les chevilles.
Je n'arrivais pas à retrouver l'émotion que j'avais eu en venant ici.
Peut-être parce que c'était sans elle.
La musique que faisaient les insectes autour de moi aurait pu m'aider à réveiller cette sensation endormie, mais c'était comme si, ici, tout était mort.
Plus rien ici n'avait de vie, et même si toute la beauté du monde se pavanait devant mes yeux, je n'arriverai pas à en voir la splendeur. Tout était devenu gris, blanc et peut-être parme, parfois.
Je ne pourrais pas jouer cette sensation au piano. Il m'aurait fallu bien plus d'expérience.
Je fermai les yeux et me laissai emporter par l'odeur du vent. Il fallait que mon corps retrouve un peu de vie. Et vite.
Sinon, je ne supporterai pas de vivre un jour de plus dans ce monde.
Une larme roula sur ma joue. Encore.
C'était ma fin.
Je levai les bras, en attendant que le ciel me prenne. Mais lorsque je rouvris les yeux, je découvris tout un autre paysage que le Paradis ou l'Enfer.
Marilyn.
C'était elle.
Elle était là, elle se tenait devant moi, sans bouger d'un cil.
-Elias...
Lorsqu'elle murmura mon prénom, une vague de chaleur se déferla en moi. J'essayai de tendre la main, mais mon corps était pris d'une stupeur impossible qui m'empêchait de bouger. C'était elle, ses yeux, sa bouche, ses cheveux...
C'était bien elle. Etais-je en train de devenir fou ? Sûrement.
-Marilyn !
Je me mis à crier son nom, pris d'un élan de désespoir. Elle était presque transparente. Faites qu'elle reste, par pitié.
Puis il se mit à pleuvoir de nouveau. Était-ce elle qui avait invoqué la pluie pour moi, ou le ciel voulait-il encore nous punir, car nous étions enfin réunis ?
Elle s'approcha de moi.
Je vis qu'elle n'avait plus cet éclat rosé dans les joues, que son teint avait pâli. Ses yeux n'avaient plus cet éclat qui les faisait briller.
Etais-je mort, moi aussi ?
-Elias...
Lorsqu'elle répéta mon nom une seconde fois, mon cœur se brisa. Au fur et à mesure qu'elle se rapprochait de moi, elle devenait de plus en plus froide. Oh, Marilyn...
Elle posa sa main sur ma joue.
Ses doigts étaient gelés, donc je les pris dans les miens pour les réchauffer, mais elle les retira rapidement, comme si ce contact l'avait brûlée.
Elle plongea ses yeux devenus limpides dans les miens.
-Elias, jamais je ne reviendrai. Accepte que je sois partie.
Mon cœur se brisa un peu plus que la fois précédente.
-Comment ça ? Comment peux-tu partir ? Tu te tiens là, devant moi...Je ne comprends pas...
Ma voix se brisa. Elle inclina sa tête, et je perçus un minuscule éclat dans ses yeux. Que cela voulait-il dire ?
-Tu m'as imaginée. Je n'étais pas là, Elias.
C'est alors que je compris. Elle n'avait jamais été réelle.
Lorsque je l'avais rencontrée, elle n'était déjà plus vivante.
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L'homme au piano
RomansaC'était une amoureuse des détails. Elle avait cet éclat dans les pupilles qui m'interpellait ; elle avait le plus beau de tous les regards que j'avais croisés. Et j'aurais pu m'y plonger pendant l'éternité, sans me lasser.