1 - Sur le quai

947 130 175
                                    

 Un an et demi plus tard

— Voulez-vous qu'on revienne un peu sur comment vous avez vécu les évènements de ce soir-là ?

Assis en tailleur dans le large fauteuil du cabinet de ma thérapeute, j'engouffrai une main dans mes cheveux, gêné.

— Je ne sais pas vraiment quoi dire... C'était étrange. Enfin... Je comprenais ce qu'il se passait, mais c'était comme si mon corps avait juste cessé de fonctionner. J'ai eu l'impression d'être... statufié ? J'ai seulement été trop faible pour pouvoir me défendre...

Lina me fixa avec intensité. Ses longs cheveux bruns, retenus en une queue de cheval haute, se perdaient parfois sur ses épaules lorsqu'elle prenait des notes sur son calepin. Elle m'offrit pourtant un regard affectueux.

— Éliah, est-ce que le terme de sidération vous dit quelque chose ?

— Non, désolé.

— Ne vous excusez pas, beaucoup de gens ne connaissent pas cette particularité du corps. Avez-vous déjà vu une biche, plantée au milieu de la route, qui reste pétrifiée devant une voiture qui lui fonce dessus ? Eh bien la sidération, c'est ça. Face à un danger, le cerveau nous prépare d'abord à nous enfuir. C'est précisément l'une de ses parties qui agit ; l'amygdale cérébrale. Elle ordonne la production « d'hormones du stress », l'adrénaline ou le cortisol par exemple. Des symptômes apparaissent afin de nous aider à nous échapper, comme l'accélération du pouls ou la contraction des muscles. Seulement, quand il n'est pas possible de prendre la fuite, l'organisme est saturé de cet excès d'hormones. Et parce qu'on peut mourir de stress, avec un arrêt cardiaque entre autres, le cerveau se court-circuite lui-même. Lors de ce sabotage, l'encéphale libère des molécules équivalentes à la morphine et de la kétamine. Il permet au corps d'accepter l'inacceptable, de se bloquer, de vous sortir de la réalité. Est-ce que ça ressemble à ce que vous avez vécu ?

— Je crois, oui. Je ne m'en souviens pas très bien...

— Ce n'est pas grave, me dit-elle d'un ton doux. Je ne vous demande pas de vous rappeler de tout, vous le ferez quand vous serez prêt. La sidération va souvent assombrir votre mémoire, altérer le temps alors, il peut être compliqué pour vous de remettre tout en place. L'hypnose peut donner de bons résultats si vous y êtes sensibles et que vous en avez envie.

J'avais du mal à intégrer tout ce qu'elle me disait, cependant, une question restait en suspend.

— Vous voulez dire que mon corps a décidé de lui-même de me laisser me faire agresser ?

— Non. Il a fait ce qu'il pouvait pour vous protéger. Dans l'impossibilité de fuite, il a préféré enfermer vos sensations dans une boîte plutôt que de vous autoriser à tout voir et tout subir. Un peu comme les trous noirs que vivent certaines victimes de traumatismes, où il va simplement bloquer des souvenirs trop durs à accepter pour ne pas aggraver l'état général de son humain. Cependant, vous devez bien comprendre que vous n'êtes pas responsable. Ce sont les agresseurs qui sont en tort, pas vous.

Je fis la moue.

— Je ne sais pas. Je n'ai... Je ne suis pas quelqu'un de très malin. Mon compagnon doit souvent me rappeler à l'ordre, je manque de concentration, j'oublie des choses. J'ai toujours eu un léger déficit d'attention, mais depuis quelque temps, j'ai l'impression que ça empire.

Un profond soupir s'extirpa de ma gorge, il était difficile d'avouer qu'on n'était pas à la hauteur.

— Vous lui en avez parlé ?

— Oui, répondis-je en détournant le regard.

— Quel est son avis ?

— Il me rejoint un peu. Ce n'est pas de ma faute, mais j'aurais dû être plus vigilant et moins boire. C'est vrai que si j'avais été sobre, il ne se serait rien passé, j'aurais pu me défendre.

NIGHTMARE 2 - Dystopique [MxM] [terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant