Chapitre 11

41 4 0
                                        

Quand je souris alors que je, ou que ma famille traverse des choses, je me sens coupable. Comme si que quand on avait des problèmes on avait pas le droit de les fuir, de s'échapper l'instant d'une seconde, le temps d'une partie de jeu, d'un bon souvenir, d'un sourir à la vu d'une vidéo amusante, d'une grimace. Comme si on avait plus le droit d'être heureux, et qu'on devait rester bloqué dans le sépulcre de l'embarras jusqu'à ce que celui-ci disparaisse. Mais s'il ne se disparaît jamais? Si la difficulté perdure encore et encore? Cela veut-il dire qu'on ne peut plus connaitre la jouissance? Qu'on ne peut plus se proclamer joyeux? On ne devrait pas avoir à s'en vouloir car on désire fuir nos problèmes, tout le monde aimerait le faire. Et, petite je pensais que c'était aussi simple, qu'on pouvait s'évader aussi facilement. Je me disais que je n'avais qu'à attendre d'être en âge de partir, et qu'à m'éloigner le moment venu. Mais en grandissant, j'ai compris qu'on ne pouvait pas fuir, du moins, pas éternellement. Grandir est ce que j'ai toujours voulu, mais l'âge apporte une conception, une vision sur tant de choses qui, jusqu'à là, nous étaient invisibles. Je ne pense pas que prendre de l'âge soit une mauvaise chose, - personne n'y échappe de tout façon - mais que cela nous oblige à voir et accepter l'abîme qu'est la réalité, une réalité qu'on ne peut pas fuir. Alors, souvent, on se dit qu'on aimerait revenir en arrière ne serait-ce que l'espace d'une journée, qu'on aimerait retrouver la joie de vivre et l'innocence que comporte l'enfance. Mais la vérité c'est que les problèmes ont toujours été là, ils étaient seulement irrévélés ou se faisaient moins voir aux premiers âges, à l'aube de l'accroissement. L'humain est étrange, il a été aveugle plusieurs années, mais il associe souvent ces années aux meilleurs moments de son existence. Il préfère rester dans l'amaurose idéaliste que représente les premières années de sa vie mais il finit toujours par ouvrir les yeux, qu'il le veuille ou non. Et mes yeux sont ouverts.

C'est pour cette raison que je n'ai nul autre choix que d'accepter ma réalité, même si ça m'effraie. J'ai décidé d'en parler, et je l'ai fais. Et je suppose que ça m'a fait du bien. Je le suppose car même après en avoir parlé, les souvenirs et la peine ne s'envolent pas. Non, ils sont toujours là. Je ne me sens pas mieux, mais plutôt moins lourde. Car le silence est un lourd fardeau, invisible mais corpulent. J'ai ouvert la porte de ma mère alors qu'elle dormait et je l'ai observé pendant quelques secondes. La voir si calme ne me donnait pas envie de venir ruiner sa tranquillité, mais je l'ai fais. Elle a ouvert les yeux doucement, et m'a regardé aussi.

- T'es de bonne heure, dit-elle calmement, allez, entre.

Je suis entrée, puis je lui ai tout raconté alors qu'elle me regardait d'un regard soucieux. Ça faisait longtemps que j'avais pas vu ma mère pleurer, mais là elle n'a pas su retenir ses larmes.

- Sophy... Dit-elle en gémissant comme je l'ai fais auparavant, Je suis désolée...

Elle a dit ça en s'imaginant que si elle avait été plus présente pour nous s'aurait pu être différent, s'aurait pu ne jamais être arrivé. Mais je ne pense pas que ce soit vrai. Je me serais, dans tout les cas, retrouvée ce soir là dans cette rue sans issue, dans l'obscurité funèbre de cette allée, au bas-fond du désespoir.

Je pleure souvent, mais je déteste voir les gens pleurer. J'ai toujours été fascinée par la tristesse, mais récemment j'ai découvert une peine que je ne connaissais pas, que je n'avais jamais expérimenté. Mais je pense qu'elle n'est pas nouvelle, car ça m'a toujours déchiré le coeur lorsque j'entendais mon père, ma mère et mon frère pleurer, chacun leur tour, essayant de cacher leurs tourments. Cette tristesse sort de la conscience, le fait d'être conscient rend la chose cent fois plus dure. C'est pour cette raison que comprendre n'est pas toujours bon et qu'on essaie donc de fuir sa propre conscience, sa propre réalité.

Après ma confession, ma mère m'a annoncé qu'on porterait plainte, et comme July, elle a dit qu'il devait payer. Mais au même moment j'ai reçu ce message : « Il faut qu'on parle ». Et son envoyeur n'était nul autre que l'accusé. « Il faut qu'on parle », qu'aurait-on a se dire ? Qu'il est désolé ? Qu'il veut tout reprendre à zéro ? « Mais stp ne dis rien à personne ». July avait raison, si je n'avais pas déjà parlé, ce simple message aurait pu me faire taire, comme je m'étais tu dans la voiture, alors qu'il ne m'avait pas réduit au silence par le biais d'un bâillon. Mais entre Anthony qui me demandais de ne rien dire et ma mère qui voulait furieusement porter plainte, je me suis senti partagée. Pas que je voulais écouter Anthony, juste que ce n'est pas si simple. Le fait est que je ne souhaitais que fuir, mais là j'ai choisi d'aller au bout, et pas que pour moi. C'est aussi pour mes proches, qui se sentent aussi touchés par cet événement. Donc je n'ai pas répondu et j'allais retourner dans ma chambre, quand le téléphone fixe à sonner. Ma mère a décrocher :

- Allô ? Oui c'est bien moi, oh comment allez-vous ? Ça va, oui elle est là. D'accord, je n'ai pas de problèmes avec ça, d'accord.

Puis elle m'appela :

- Sophy, il y a quelqu'un qui veut te parler

J'ai hésité à prendre le téléphone car je ne savais pas c'était qui et ça m'effrayait.

- Aller, tiens. Dit ma mère en me le tendant.

Je l'ai pris puis j'ai dis :

- Allô ?  D'une voix basse et hésitante.

Puis une voix familière, réconfortante se fit entendre de l'autre côté du fil.

- Oui, Sophy ? C'est moi, le-

- Docteur Brown ! Dis-je en le coupant.

- Ahah, Comment tu vas ma chérie ? Écoute, j'ai parlé à ton père et il m'a expliqué. On a décidé de ne pas couper les thérapies, mais de les faire en visioconférence.

Ce fut vraiment une bonne nouvelle pour moi. Même s'il pose parfois des questions embarrassantes, je préfère milles fois mes thérapies avec le Docteur Brown que celles que j'ai suivis ici, il y a longtemps. Je n'ai jamais parlé encore de mon premier jour de thérapie à New York, et je ne le ferai pas, pas encore. Mais je me rappel de mon premier jour avec le docteur Brown. Je pleurais alors qu'on étaient en route vers ce que je croyais l'enfer. Puis on est arrivés et ce petit monsieur souriant était là, m'attendant, puis ça a commencé. Au début je voulais à peine répondre à ses questions, et je ne parlais pas quand il me demandait de m'exprimer. Mais le Docteur Brown a cette capacité à faire les gens se sentir apaisé en sa présence. Ce que j'aime avec lui c'est qu'il est lui même, il ne fait pas que faire son travail. Si je me rappel si bien de ce jour, c'est parce que c'était la première fois que quelqu'un me faisait voir mon trouble d'un autre œil, d'une autre vision. « Ta tristesse est beaucoup plus large que la nôtre, mais ta joie l'est aussi ». C'est à partir de ce moment que j'ai compris qui le docteur Brown était. À ce moment présent, ma tristesse est beaucoup plus large que la vôtre, mais, sans faire preuve d'égoïsme, j'espère qu'un jour ma joie le sera à nouveau.

Jours de pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant