Lorsque l'humain est conscient qu'il vit pour mourir, il a généralement deux réactions. Soit il le voit comme une raison de vivre plus, de profiter de son temps, ses proches, ses moments au maximum, soit il se pose des questions. « Pourquoi je vis? Pourquoi je meurs? Pourquoi je ris? Pourquoi je pleure? » Moi, je suis de ceux-là. La mort ne me fait pas peur, ce qui m'effraie c'est la perte, la perte de tout. Si l'on sort du contexte religieux et spirituel, notre dernier souffle marque la fin de tout. Le fait de me dire que du jour au lan-demain, tout peut s'envoler. Et lorsqu'on y pense, chaque jour nous frôlons la mort. Chaque fois que nous montons dans une voiture, nous acceptons qu'il y ait un certain pourcentage de chance que nous nous retrouvions engagés dans un accident et qu'on perde la vie. Chaque fois que l'on traverse la rue à un feu rouge, il y a un certain pourcentage qu'un conducteur d'une des voitures à chacun de nos côtés, toutes en marche, n'attendant que l'alternance de la couleur du feu pour continuer leur route, appui sur l'accélérateur et nous emmène dans une fin tragique.
Si au point de vu moral il ne l'a pas, l'Homme a physiquement le pouvoir sur la vie et la mort. C'est pour ça qu'il y a des meurtriers, des tueurs en série, des assassins. Ce sont des gens ayant réalisé ce fait, et l'ayant mis en pratique. Ce sont des gens qui, dans leur égo, ont décidé qu'ils étaient au dessus des autres et avaient le droit de décider de qui méritait de vivre ou de mourrir.
Tout le monde a des phobies d'impulsion : ce sont des pensées liés à un trouble obsessionnel compulsif qui portent à penser à commettre des choses horribles comme, par exemple, tuer toute sa famille ou bien pousser la personne devant soi dans les escaliers. Et ces pensées, aussi étranges qu'elles soient, sont normales. Ce sont des idées qui ne dépasseront jamais le stade psychologique. Mais celles-ci conjuguées à de l'égocentrisme, un sentiment de supériorité et de la haine profonde peuvent créer de véritables monstres.
C'est ce qui est arrivé à Jeremy, il s'est laissé aveuglé par la haine et à choisi la vengeance. À deux reprises, il a projeté toute cette haine dans les balles qui emportèrent Anthony. Mon frère est maintenant un meurtrier, mais sa victime est mon agresseur. Donc je ne sais plus où me situer. C'est un sentiment bizarre car au fond, une certaine partie de moi ressent un soulagement. Mais l'autre, beaucoup de peine. La vengeance par le meurtre est ravageuse, mais pas que pour l'accidenté. La mort laisse tellement de séquelles chez les vivants qu'on se demande si les morts ne souffrent pas moins que ceux qui vivent encore. Je n'ai pas pu m'empêcher de penser aux proches d'Anthony, à ses parents qui ont perdus leur fils. Je me demande si Jeremy a pensé à tout ça avant d'appuyer sur la gâchette, ou s'il s'est tellement laissé aveugler par le mépris qu'il n'y a même pas réfléchi une seconde. Je pense qu'il y a pensé, sinon il ne serait pas resté assis là, à attendre qu'on l'arrache. Avant même de commettre son crime, il avait lui même décidé de son sort. Est-ce par remords? S'est t-il lui même donné en guise de pardon? À t-il réellement décidé de donner sa liberté contre la vie d'un fils, d'un frère, d'un ami... d'un violeur? C'est peut-être ça.
Jeremy est indécis et insouciant. Mais il n'est pas un idiot, contrairement à ce que pourrait laisser croire la majorité de ses agissements. Il a réussi à retrouver Anthony avec le peu d'indices qu'il avait. C'est pour ça qu'il avait toute ces cernes à mon retour de New York, il a dû passer ses nuits à chercher qui était le coupable de mes méfaits. C'est pour ça qu'il était venu me voir lorsque ma mère avait fait part de ceux-ci à tout le clan, pour me dire qu'il s'en chargerait. Je me l'étais dit, qu'inclure Jeremy dans mes traquas ne pouvait n'être qu'une mauvaise idée. Mais je n'aurais pu imaginer qu'il serait allé aussi loin.
Puisque ma mère avait porté plainte contre Anthony, nos noms, le sien et toute l'histoire dans les moindres détails étaient déjà connus par les forces de l'ordre (et pourtant l'affaire n'avait pas avancé depuis). Donc autant vous dire que ça a facilité la tâche aux médias. « Un adolescent tue un jeune homme lors du bal d'Halloween d'un lycée suite au viol de sa soeur. « Une fusillade éclate au bal d'Halloween de Susquehanna Township pour une affaire d'agression sexuelle".
Je n'ai pas remis les pieds à l'école depuis, et je ne pense les y remettre un jour. Lorsque les policiers sont venus toquer à notre porte le soir du drame, il y a quelques jours, mon père est resté bouche bée. Jusqu'à aujourd'hui, c'est à peine s'il peut en placer une. Mais le soir, je l'entend se parler à lui même, ou à Dieu, je ne suis pas sûre. Des bribes qui arrivent à mon oreille, j'entend souvent "Pourquoi moi?" Et beaucoup "Qu'est-ce que j'ai fais au bon Dieu?". Et je ne peux le juger de remettre en cause sa décision d'avoir des enfants. De ce que je saches, on ne lui a apporté que des fardeaux. On est la raison de son divorce, on est la cause de ses problèmes financiers. Nos thérapies lui prend beaucoup de son temps et de son argent. Ça ne doit pas être facile d'être le père d'une fille bipolaire, d'un fils hyperactif et maintenant d'un meurtrier. Je ne lui en voudrais pas s'il nous détestais. Je répondais "je ne sais pas" lorsqu'on me le demandait mais maintenant je sais : je ne veux pas d'enfants.
Ma mère, pour sa part est rentrée en urgence d'un voyage d'affaire en Europe lorsqu'elle a apprit la nouvelle. Elle aussi était bouleversée mais je ne dirais pas que c'était au niveau de mon père, elle avait plutôt l'air écœurée. Peut-être qu'elle ressentais du dégoût pour son fils, peut-être qu'elle était fâchée d'avoir eu à quitter son travail de si haute importance. Je n'arrive jamais vraiment à savoir ce qu'elle ressent. Je ne m'y suis jamais penché non plus, ça ne m'intéresse pas plus que ça. Pour beaucoup, la famille est le centre de tout, ce sont les personnes à qui on doit le plus d'amour et d'appréciation. Mais pour moi, la famille n'est qu'un ensemble d'individus forcés à vivre ensemble. Chez certains ça réussit, chez d'autres non. Je ne sais pas faire semblant, ou peut-être que je le peux mais je déteste ça. Je n'arrive pas à dissocier les différents individus en me basant sur le statut de « membre de la famille » et à traiter ces personnes différemment des autres à cause de ce statut. Certains me jugeraient cruel mais rien de plus cruel que le manque d'authenticité. Selon-moi, tout le monde est Homme et chacun doit faire ses preuves par des actes pour bénéficier de l'appréciation de quiconque, en négligeant les titres et les appellations.
Ce soir là, Mes parents ne se sont pas dis un mot, et leur regard ne se sont même pas croisé. J'estimai qu'ils ne sauraient quoi se dire dans une telle situation, qu'ils fuiraient cette maudite discussion. Qu'il fermeraient les yeux dans le noir les entourant et les remplissant. Qu'ils fuiraient cette réalité inéchangeable, inévitable, et qu'il se parleraient demain.
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Jours de pluie
Teen FictionMalgré mon trouble bipolaire, je ressens rarement de « sentiments de bonheur extrême ». Est-ce parce que je préfère la tristesse à la joie ? La pluie au beau temps ? Je pense d'ailleurs qu'on ne devrait pas associer le beau temps au soleil et au cie...