Chapitre 5

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L'enfant doit être notre souci, et savez-vous pourquoi ? Savez-vous son vrai nom ? L'Enfant s'appelle l'Avenir.

-Victor Hugo ; Actes et paroles (1875)

Février 1941

Monts, France

Je faisais toujours le même cauchemar. Une sirène. Un stuka qui descend vers nous en lâchant sa cargaison meurtrière. Maman qui court vers le fossé en me tirant le bras. L'avion ennemi en rase motte qui s'approche de la route. Le visage du pilote que j'arrive à distinguer. Je le reconnais alors. Émile. Concentré sur ses cadrans il ne me voit pas. Je m'arrête alors net. Maman tente de rattraper l'une de mes mains, mais je les agite au-dessus de ma tête pour me faire repérer d'Émile. C'est moi, c'est Laure. Tout cela se passe très vite, en quelques secondes. Maman me supplie de la suivre, de me refugier avec elle mais je ne lui porte pas attention. Émile croise mon regard et je lui souris mais il ne laisse transparaitre aucune émotion. Le stuka remonte vers le ciel et se perd dans les nuages. C'est là que je me retourne et vois maman affalée sur le sol, les jambes tordues et une tache de sang colorant sa blouse déjà sale. Elle tente de parler, de me dire quelque chose mais elle s'étouffe avec le sang qui lui coule de la bouche. Je suis alors touchée moi aussi et je tombe sur elle, l'oreille contre sa poitrine. J'entends alors le dernier battement de son cœur avant de me réveiller en sueur.

Les premiers mois, et seulement lorsque j'y arrivait il me fallait des heures pour arriver à retrouver le sommeil. Chaque nuit je revivais la mort de maman et le supplice de savoir que peut-être, Émile avait dû abattre des gens. Mais c'était bien différent. Émile n'aurait jamais piloté un avion qui aurait servi à abattre des civils. Il n'aurait jamais accepté. Ses supérieurs lui aurait-il demandé? C'étaient les Allemands qui avaient voulus cette guerre. La chose que nous avions faite, c'était de nous défendre. Il y avait peut-être eu des victimes collatérales mais jamais l'on aurait visé volontairement un groupe de civil sans défense. Seul un boche pouvait être cruel à ce point.

Même si au village, l'on entendait dire que les occupants avaient un comportement correct envers les occupés je savais bien que ce n'était qu'une mascarade. Comment peut-on être correct alors qu'on envahit et qu'on soumet un peuple entier? Qu'on l'affame?

À la campagne nous arrivions à nous en sortir. Avec l'aide des deux réfugiés, la ferme était correctement exploitée et même si un soldat venait chaque matin chercher des bidons de notre lait réquisitionné par son armée, nous pouvions nous nourrir. Les rares fois où je m'étais rendu au village avec Maryse, j'avais vu les longues files devant les divers magasins et les regards anxieux des femmes attendant de savoir s'il resterait pour elles les quelques denrées que leur donnait droit les tickets de rationnement. Les Allemands se servaient en premier et nous avions leurs miettes.

Ce matin-là, les pieds gelés dans les bottes beaucoup trop grande qui me trainait dans les rues de Monts c'est à ces femmes que je pensais. Les boches avaient du lait mais pas leurs enfants. Pour ne rien arranger, l'hiver avait été rude, l'un des plus froids que je n'ai jamais connus. La neige avait couvert les champs, les arbres, les toits et son humidité nous transperçait les os.

En ce début d'avril, l'air commençait à se réchauffer et bien habillé l'on pouvait être confortable. J'avais attendu tout l'hiver que le temps soit assez clément pour pouvoir me rendre avec Maryse au village. J'avais passé l'hiver entier à suffoquer, prisonnière d'une maison austère orné seulement d'une représentation du christ, de candélabre en laiton et de crucifix. Adèle qui voulait protéger sa réputation avait prétexté que Maryse pouvait bien s'occuper de mes commissions. Je lui avais rappelé que j'étais une cousine qu'elle avait l'amabilité d'héberger.

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