Chapitre 6

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Nous ne voyons jamais qu'un seul côté des choses.

-Victor Hugo

Août 1939

Paris, France

L'été de mes onze ans, je réalisai un rêve; j'assista à mon tout premier Opéra. C'est maman qui avait choisi la pièce; Lohengrin de Richard Wagner. Pendant que nous marchions de la rue Madame jusqu'à l'Opéra Garnier maman m'avait raconté que le compositeur de la pièce était Allemand et qu'il avait occupé une chambre de notre hôtel à ce moment-là dirigé par mon grand-père alors qu'il fuyait son pays pour échapper à ses créanciers. Lohengrin c'était l'histoire d'Elsa et d'un jeune chevalier mystérieux qui affronte en duel Telramund, l'homme qui a accusé la jeune femme d'avoir assassiné son propre frère. Trop émerveillé par les décors raffinés, les costumes médiévaux et la beauté des mélodies, je n'avais pas saisi l'essence complète des trois heures et demie de la pièce chantée en Allemand. Mais la finale m'avait marquée. Après avoir posé la question fatale, la condition bafouée que le chevalier tout droit sorti de ses songes lui avait imposée, Elsa est abandonnée par son sauveur qui quitte la scène dans une nacelle tirée par une colombe. Elle connait maintenant le nom de son chevalier; Lohengrin, mais sa vie sera désormais vouée à solitude. La princesse s'effondre alors de désespoir.

Ce n'est que des années plus tard, quelques semaines avant la guerre, que je compris le chagrin éprouvé par Elsa lorsque Lohengrin la quitte à jamais.

J'étais assise à même le sol contre le muret d'un des quais de la Seine, ma machine à écrire sur les genoux. À côté de moi, mon porte-document contenait les feuilles déjà tapées dont l'encre avait séché. Les autres attendaient sur la pierre du quai que le soleil brulant fasse son œuvre. Je dactylographiais mon dernier article que j'enverrais dès le lendemain pour sa publication au journal. Lors des belles journées d'été je venais trouver de l'inspiration ici en regardant les gens et les bateaux passer.

-Enfin je t'ai retrouvé.

Je relevais la tête vers l'ombre qui était apparu au-dessus de moi. Émile. Il était le seul à connaitre ce petit coin secret où je venais me réfugier pour écrire.

-Ça fait longtemps que tu me cherche?

Il sourit en me tendant la main. Je l'agrippais en me levant et lui tendit ma machine à écrire qu'il glissa sous son bras. C'était une Corona, un petit format qui se transportait bien.

-C'est comme si ça faisait une éternité tellement j'avais hâte de te voir.

Cela faisait deux mois que nous passions presque tout notre temps libre ensemble. Quand Émile ne pilotait pas il était avec moi et quand je n'écrivais pas j'étais avec lui. Parfois, nous allions diner tout les deux mais la majorité du temps nous ne faisions que flâner dans les rues de Paris et cela était bien suffisant. Sa simple présence faisait paraitre les heures aussi courtes que des minutes. Souvent, il m'irritait au point où j'avais envie de le taper mais c'est aussi cela qui faisait que je ressentais le besoin de rester le plus près de lui possible.

Main dans la main, nous longions les quais de la seine en silence appréciant simplement la présence l'un de l'autre croisant peintres, bouquinistes et pécheurs les yeux plissés sous le soleil brillant. La brulure de mon coup de soleil à l'épaule frottait contre le tissu de ma robe en coton mais lorsque j'étais avec Émile mes problèmes et mes douleurs me semblaient bien lointaine. Même la menace de guerre n'était qu'un simple murmure distant à mes oreilles. Nous marchions jusqu'au dernière péniche quand Émile s'arrêta et me tira doucement le bras pour lui faire face.

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