Ô Rage Ô Désespoir

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Installe-toi. On va rester ici un moment.》

《Combien de temps ?》

《Le temps de savoir ce qu'il se passe là-bas.》

Le brun se laissa tomber sur le matelas défoncé, sortit un téléphone de sa poche gauche, et un autre de sa poche droite. Kido fronça les sourcils : ce type avait donc bel et bien volé le téléphone de la brute. Il croqua dans son sandwich, silencieux.

《Tu fais ça souvent ?》reprit le voleur, jonglant entre les deux portables pour envoyer un texto avec le clavier de l'un et les contacts de l'autre. 《Je veux dire ; casser la gueule avec une batte, ce genre de choses.》

Kido se demanda s'il se fichait de lui.

"Non. C'est la première fois. Je sais pas ce qui m'a pris.》

《Un diable. Tu avais le diable au corps. C'était génial.》

Il posa les téléphones sur la bassine et tourna enfin son regard vers lui. Kido coupait enfin le temps de voir à quoi il ressemblait : il avait un visage espiègle, une peau claire, des lèvres pâles et fines, un regard bleu vif et direct. Un sourire amusé étirait les pièces de sa bouche.

《Mais, t'es plutôt du genre à te cacher nan ?》

Le garçon aux dreadlocks saisit l'allusion, qui confirmait ses pressentiments depuis qu'il l'avait entraperçu dans la ruelle. Du genre à se cacher, oui, à s'enfermer dans les toilettes pour échapper aux menaces d'un type d'un an de moins que lui, du genre à préférer faire le tour pour ne pas passer devant un groupe de gars posté là, le genre à se changer dans les toilettes plutôt que dans les vestiaires parce qu'il craignait qu'on l'agresse dans son état le plus vulnérable.

《T'es le type des chiottes ?》poursuivit le brun, et le silence de Kido affirma pour lui.《Qu'est-ce que ces mecs te voulaient ? Tu les as bien énervés en tout cas.》

《Le genre de choses habituelles que veulent les types comme eux aux types comme moi.》répondit calmement le concerné.

《Ouais, je vois.》

Ils finissaient leurs sandwichs en silence, Kido ignorant les messages pressants de Sakuma et Genda, le brun fouillant dans le portable qui n'était pas le sien, le plus neuf et dernier cri des deux -ce qui n'était pas difficile à relever car l'autre téléphone était un cellulaire quatre opération à peine assez performant pour envoyer des mails.

《Pourquoi tu es en colère ?》finit par demander le voleur.

《Je suis pas en colère.》répondit seulement le châtain.

《Tu dois être sacrément en colère, pour être autant en colère, et ne pas t'en rendre compte.》

Les mots du garçon avaient un sens tout nouveau pour Kido. La colère, ce sentiment qui l'avait saisi à bras le corps lorsqu'il avait abattu ce morceau de bois sur le corps plein de muscles de la brute, quelle puissance. Il était à la fois inquiet et troublé par cette idée. De base, Kido Yuuto était un garçon calme, imperturbable et très secret ; pas de "colère" qui tienne. Il entendait d'ici le constat hautain de son père, "mon fils ? vraiment ? alors que tu te laisses emporter à la moindre escarmouche ?", et son air dégoûté.

Il n'était pas en colère. Juste un peu irrité.

《Au fait, tu as un nom ? Moi c'est Fudo.》

《Kido》

《Tu n'as pas de prénom ?》

《Toi non plus.》

Un sourire amusé vint peindre les lèvres de Fudo, alors qu'il mâchait sa dernière bouchée. Le ciel orageux se lamentait sans cesse, et ses plaintes étaient toutes les plaintes du monde, celles du chat écrasé, de la brute terrassée, et de Kido, et de Fudo. Certains gémissements du ciel étaient lourds, sourds, rauques, d'autres mélancoliques, insoutenables, tellement qu'on avait envie de se boucher les oreilles, et de se lacèrer les yeux.

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