Feu Follet

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C'est haut.》

La nuit était tombée, et depuis l'un des plus hauts immeubles de la ville, les rues en contre-bas avaient des airs de rivières luminescentes, d'or et de rubis liquide. Les lueurs des lampadaires comme des sentinelles, les phares des voitures comme des poissons vifs et ordonnés dans une eau sombre. Fudo restait calme et silencieux assis au beau milieu du toit de ce bâtiment de plusieurs dizaines d'étages, et comme à son habitude roulait une clope. Il n'avait plus de filtre et avait dû improviser avec un ticket de métro, comme il avait l'habitude de le faire à chaque fois qu'il se trouvait à court de matos. Kido était accroupi au bord du toit, prudent, admirait la vie microscopique en contre bas, les lumières et les couleurs de la nuit. En face d'eux, la terrasse d'un hôtel de luxe,

La musique cocktail se mêlait aux clapotis confus de la ville, aux moteurs vrombissants et au brouhaha étourdissant qui montait du gouffre. Des rires émanaient de la communauté dansante de la terrasse, ces dames en robes de soirée pimpantes, ces messieurs en costume de soir, distingués. Ce frétillement mondain faisait sourire le brun.

《Je ne pense pas que Dazel ait connu Saint Exupéry.》reprit Kido.

"Pourquoi pas ? C'est un nom sympa, pour un chien.》

《Un chien ? Non, c'était un auteur, il est mort en 1944 ou quelque chose comme ça. Le Petit Prince ? Ça te dit rien ?》

《Dazel, si tu l'écoutais parler, il aurait rencontré tous les intellectuels de tous les temps.》rigola Fudo, jouant avec son briquet, sa roulée encore éteinte sur le bord des lèvres.《Saint Ex était un de ses chiens, tout comme, Horace, Winston Churchill, Abraham Lincoln, Gandhi. Luis Armstrong, même, selon lui. Il dit que ces cabots lui avaient donné leurs noms d'eux même, moi je me demande comment il a pu avoir autant de chiens.》

Un rire amusé échappa au châtain, qui se redressa de son observation et se rapprocha de son guide des toits. Il s'assit à ses côtés, silencieux, avisa le beau linge tremoussant sur l'immeuble d'en face.

《J'ai l'impression que ces types ne sont pas réels. Comment peuvent-ils être aussi oisif ? Danser tandis que le monde en dessous d'eux se traîne dans la fange pour s'en sortir.》souffla l'acrobate.

Fudo lâcha un "tch" las, et tenta d'allumer sa cigarette. Les vents de tous bords étouffaient sa flamme dès qu'elle émergeait de son briquet, malgré sa main en coupole pour la protéger. Il sentit le regard de Kido sur lui, et le vit bientôt se pencher dans sa direction pour aider sa main des siennes, protégeant un peu plus l'étincelle. Le feu saisit finalement le bout de la tige et Fudo inspira pour faire brûler son tabac. Le châtain reprit sa position d'origine, se contentant de son maigre signe de remerciement. La fumée nicotinée emplit ses poumons, et alors qu'une onde de réconfort traversait son corps, Fudo reprit :

《Tu sais, l'autre jour, on massacrait cette affiche promotionnelle de Kido Corp. Ce rat est le pire de tous. Il n'a pas une once d'humanité, ce n'est qu'un type odieux. Dazel dit que ce doit être un homme heureux, je pense qu'au contraire, il doit avoir une vie bien pathétique. Je pense que le bonheur se limite aux plaisirs les plus simples. Se promener sur les toits, faire des feux de joie dans les terrains vagues, s'endormir avec la lune imprimée sur les rétines, entre autres. Je ne vois pas comment l'argent peut rendre heureux. L'argent n'achète ni le ciel, ni le feu, ni les astres.》

La fumée captait toutes les lumières nocturnes, toutes les couleurs qui se détachaient dans la nuit d'encre. Le silence relatif des toits était apaisant.

《Je ne comprend pas ce mec. C'est quoi son but, dans la vie, faire la misère aux gens ? J'aimerai qu'il voit tout ce que le monde peut offrir sans monayer, peut-être qu'il comprendrait. Qu'est-ce que tu en dis ?》

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