Je N'ai Vu Aucun Pont

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Un grand sourire fendait son visage de part en part. Un sourire que Kido n'avait jamais vu ailleurs que dans un film, un sourire joué, surjoué.

《C'est fantastique mon coeur !》

Fantastique n'est-ce pas ? Sa faculté humaine à faire comme si tout allait pour le mieux. Comme si sa vie était un film hollywoodien, un film de happy ends, en continu, à répétition. Sur la table basse en verre laqué, Kido voyait sa médaille, le maigre reflet argent de la maigre petite pièce, qui se mêlait aux reflets du feu de la cheminé. Il y avait ça, le salon, trop grand pour toute une vie, la cheminé où avaient brûlé tant de ses souvenirs d'enfant, la tête de cerf avec ses grands bois et ses yeux de verre noires et larmoyants, le portrait de son père, la médaille d'argent, le sourire faux de sa mère. Son amertume.

《Tu t'es battu comme un petit chef mon coeur.》murmurait sa mère, comme s'il ne pouvait pas faire mieux, avec ce sourire plein de tristesse et de mensonges.

《C'est pitoyable. Misérable. La "deuxième place", tch. Tu n'atteins même pas l'ombre du premier, voilà ce que ça veut dire, "deuxième place".》assenait son père, comme s'il ne pouvait pas faire mieux, avec ce regard froid et dégoûté.

《Le plus important c'était de participer !》sourit sa mère, pour le réconforter.

《Même pas fichu de gagner un concours débutant... Tu me fais honte, Yuuto.》grognait son père, pour l'accabler.

Sa mère se leva du canapé en cuir sur-mesure d'Italie et s'approcha de lui pour lui caresser le front et l'embrasser plusieurs fois, débordante d'amour.

《Mon grand bébé ! *smack* Tu *smack* mérites *smack* un grand bol de fraises à la crème !》et puis 《Tu aimes ça, les fraises à la crèmes, hein mon ange.》

《Oui mère.》

《Oh, mais écoute-toi, mon petit sucre ! Tu parles comme un homme mon trésor !》

Et puis elle rejoignait les cuisines avec les escarpins qui lui servaient de chaussons, appelant la bonne pour savoir s'il y avait des fraises et de la crème. Lui, il restait debout dans la pièce, seul face à son père, seul face à son échec, seul face aux flammes de la cheminé.

《Quelle déception tu es. Tu te dis mon fils ? Comment pourrais-tu l'être, alors que j'ai tout réussi, et que tu échoues partout ?》

Kido avait alors 10 ans. Il venait de remporter la deuxième place à un prestigieux concours débutant d'échec, triomphant petit garçon sur une assemblée d'adultes applaudissant amèrement.

Kido parvint à se faufiller sous les bras massifs de son agresseur, comme une truite s'échappe des mains d'un pêcheur, et fut assez rapide pour s'enfermer dans une des cabines. L'autre jura, frappa contre la porte, une fois, puis deux, plus violent à chaque essai, et le châtain retenait seulement son souffle : peut-être bien qu'il aurait préféré avoir à faire à des bêtes sauvages. Elles ne tuaient que pour leur survie. Le vice humain, la cruauté et la soif de loisir, faisaient des hommes des monstres, bien plus terrifiants encore que les pires mangeurs de viande du haut de la chaîne alimentaire. Bien plus dangeureux.

《C'est comme ça, hein, petite salope !》

Des pas furieux quittèrent les toilettes et Kido faillit tomber dans le piège, tant il ne demandait qu'une chance de filer : dehors, la bande de brutes, la meute du basketteur, elle l'attendait. Il resta silencieux, plaqué à la porte de la cabine, attendant que le danger s'écarte, le coeur tambourinant dans sa gorge. Des pas et des rires s'approchèrent, ils chuchotaient, et avec le bruit de l'eau qui coule des robinets, il semblaient être deux, Kido ne comprenait pas ce qu'ils se disaient. Soudain, il distingua les ombres sous la porte, des rires percer le murmure des tuyaux, et en levant la tête, il aperçut le goulot d'une bouteille en plastique dépasser en haut.

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