Elatio

Et Le Ciel Pour Seul Plafond

Kido grimpa sur le muret, sauté sur l'échelle ; ses doigts endoloris se réveillèrent et il grimaça alors qu'il atteignit petit à petit le haut du bâtiment. Il finit par passer la tête par dessus le niveau du toit, et avisa simplement le brun, allongé sur le vieux matelas défoncé, fumant pensivement. La fumée claire s'élevait et se laissait porter par le vent. Le jeune homme avait les jambes pliées, croisées l'une sur l'autre, celle du dessus battant paresseusement l'air, et son bras libre était replié sous sa tête. Kido se demanda à quoi il pouvait bien penser ; il finit de monter et s'approche lentement.

《Salut.》

Le jeune homme se redresse vivement, surprend, l'avisa ; il semble hésiter un instant, avant de sourire et de le saluer à son tour. Le châtain se devenait désormais tout près du matelas, il pouvait voir sur la table improvisée plusieurs petites bouteilles de bière vides.

《Je ne pensais pas que tu viendrais un jour.》fit remarquer le voyou avec un sourire espiègle, la cigarette posée entre son majeur et son index, sensuellement.

《Moi non plus.》avoua donc le concerné.

Le maître des lieux s'assit et fit signe à son invité de faire de même. Kido accepta sobrement la bière qu'il lui tendait, mais quelques gorgées sous le regard malicieux de l'autre.

《Alors, pourquoi tu es là ?》

《Je sais pas. Besoin de prendre l'air. De me changer les idées. A vrai dire, c'est Sigmund Freud qui m'a conduit ici.》

Fudo lâcha un sourire ironique.

《Tu ne savais pas comment revenir ?》demanda-t-il, les yeux rivés sur la cendre rougeoyante de sa cigarette.《Sigmund Freud a du flair ; il ne te trouve que lorsque tu as besoin de trouver quelque chose. Il a un don pour les choses perdues. Et les causes perdues aussi..》

《J'avais pas vraiment l'intention de venir ici... Mais finalement, ce n'était peut-être pas une mauvaise idée.》

《Tu as toujours cet air ? Celui de la colère.》

Kido but une nouvelle gorgée ; il ne savait pas comment le petit voyou arrivait à sentir sa rage aussi simplement, alors qu'il dissimulait tout si bien d'habitude. Car oui, il devait bien l'admettre, elle grondait dans son ventre comme une graine de catastrophe, et il ne craignait que cela. Il n'avait jamais ressenti beaucoup de colère. Souvent ce sentiment lui avait été volé, et on ne lui avait laissé que la tristesse et la peur. Ou bien, il arrivait toujours à l'enterrer avant de la ressentir, la colère, ce qui lui ressemblait bien : anticiper, réagir en conséquence, même sur son propre corps, c'était indispensable pour survivre avec son père.

Et là, pour une des premières fois en dix-sept ans, il avait ressenti de la colère. Envers sa propre soeur.

《Je suis un peu perdu en ce moment.》murmura-t-il.

Fudo le fixa de son regard bleu pétrole, dans la lumière faible des lampadaires et de la lune voilée, et le jeune homme saisit une autre gorgée pour se donner quelque chose à faire. Il sentit les yeux vifs de son camarade glisser sur ses phalanges endoloris et il rabaissa sa bouteille désormais moitié vide pour essuyer ses lèvres dans le dos de sa main.

《Qu'est-ce qui est arrivé à tes mains ?》voulut savoir le garçon aux cheveux sombres, le visage posé dans sa main gauche, alors que l'autre faisait tomber la cendre de la cigarette hors du matelas.

《Cours de piano.》répondit le châtain.

《Eh bien, c'est plus costaud que je le pensais, le piano.》plaisanta-t-il.

Il prit une inspiration dans sa cigarette et bloqua son souffle en envoyant son mégot à quelques mètres devant. Kido ne put s'empêcher de tourner la tête vers lui, et croisa son visage fatigué un instant avant que le garçon ne souffle la fumée à sa figure.