Elatio

Drôle D'Oiseau

《Ta mère est un caniche, Yuuto. Une belle chienne de race.》disait l'homme, un verre de liquide ambré dans la main.《Elle est d'un châtain doré, plus noble que le brun, et moins frivole que le blond. Ses cils sont clairs, ses lèvres sont pimpantes. Elle a un regard bleu plein de vie et de stupidité : le genre de chienne de salon qui sait se tenir en société, tu comprends ?》

Le père était assis dans le canapé italien, paisible, et le feu de la vieille cheminée dansait en de magnifiques reflets dans son verre de whisky. Kido restait silencieux et immobile, six ans, tentant de saisir ce que lui disait son aîné, sans bien comprendre où il voulait en venir. Fièrement assis dans le fauteuil, il contemplait son père en silence, tantôt subjugué par son air de majesté et de puissance incontestable, tantôt terrifié par son altesse dantesque et son air de tout exécrer du plus profond de son coeur. L'homme bu le fond de son ambre d'un traite, et fit signe à une domestique au fond de la pièce de venir le resservir.

《Tu lui ressemble beaucoup. Tu es un spécimen magnifique, d'un charme excessif. Les gens t'adorent pour ce que tu montres, et non pour ce que tu es. Ils aiment ton air de chienne racée pleine d'une gentillesse naïve.》

Il lâcha un rire désabusé, répétant "ton air de chienne racée" d'un ton plein de mépris.

《Ça t'amuse de plaire, Yuuto ? D'être le plus beau ?》demanda-t-il, secouant son verre dans la passion de son discours.

《Je l'ignore, père. C'est pas bien d'être beau ?》

《Tu ne peux pas être beau et intelligent, Yuuto. Je, non... la société te l'interdis.》gronda l'homme.《Je te laisse le choix, suivre l'exemple de ta mère et devenir une petite chienne de salon bien habillée ou bien abandonnée à cela pour une grandeur et une puissance telle que j'en détiens.》

Le petit cilla, le silence tomba dans la pièce. La domestique gardait le silence, mais n'en supprimait pas moins. Elle serra les mains autour de sa carafe en cristal. Le feu crépitait comme un intru dans le silence solennel de l'instant.

《Je choisis de vous être semblable, père. Je veux que vous soyiez fier de moi.》

《Bien parlé, mon fils.》

L'homme se redressa en finissant son verre d'alcool. Il brisa le conteneur sur le bord de son secrétaire, faisant sursauter la domestique, et s'approcha du garçon immobile sur son fauteuil. Il brandit le verre, dans l'incompréhension totale, et l'abattit sur le visage du petit.

《AAAAH !》

Le cri de douleur du petit fut suivi par un glapissement d'horreur, celui de la femme de chambre. Le garçon pleurait de douleur, malgré sa volonté de rester stoïque, son visage était déformé par des sanglots de souffrance. Sa main pressait son oeil droit, du sang coulait entre ses doigts d'enfant, sur sa petite joue rose. Le père l'avisa, plutôt satisfait.

《Je t'ai fait des lunettes particulières. Elles cacheront ce regard rouge qui est le tien, le rouge de tous les péchés. Si tu veux avoir une chance d'atteindre un jour ma grandeur, je t'interdis de les lâcher.》

Il jette le reste de son verre à whisky dans sa poubelle de bureau et se mit à observer la lune par la fenêtre. Son regard se barre d'un sourire lorsqu'il a aperçut dans le reflet de la vitre la joue qu'il avait pu tailler sur la paupière et l'arcade sourcilière gauche de son fils.

《Tu ressembles déjà plus à un vétéran de guerre qu'à un caniche de beau linge.》s'amuse-t-il.《Allez, qu'on lui appelle une ambulance.》

De ce jour Kido garde un très mauvais souvenir, et sur le coin de la paupière, une cicatrice, à peine émoussée par les années passées.