Ses Os Et Sa Chair De Poussière

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《 Regarde Papa !》

L'homme se pencha vers lui, et saisit le papier qu'il lui tendait.

《Qu'est-ce que c'est ?》

《C'est un dessin de toi, de Maman, de Haru-chan et moi !》répondit fièrement le petit garçon.

L'homme resta silencieux un instant, fixant les gribouillis enfantins d'un air interdit.

《Donne-le moi. Je vais le mettre avec les autres.》fit-il, et le petit sourit de bonheur.

Le père s'approcha de la cheminé et jeta le dessin dans les flammes. L'enfant retint un cri, les yeux écarquillés de stupeur, et fixa d'un oeil médusé les visages colorés et souriants de ses personnages se tordre dans les braises, être dévorés par le feu. L'homme retourna s'asseoir dans le canapé, sa cigarette aux lèvres, saisit ses papiers.

《Laisse-moi travailler maintenant, veux-tu.》

Kido essaya de ne pas perdre son sang-froid. C'est avec un sourire déformé par la tristesse et des yeux ruisselants qu'il répondit, d'une voix claire et posée :

《Oui Père.》

Kido avisa l'animal mort, silencieux.

Un cadavre de chat ornait la route en face de lui, un corps vide et rouge de sang qui se faisait massacrer chaque fois un peu plus par le passage d'une voiture. Il y avait de l'orage dans l'air, ce jour-là, rien de bon ne se profilait à l'horizon. Kido cherchait le regard du pauvre animal, il voulait voir la couleur de ses yeux. Est-ce que l'animal avait vu la mort arriver, avant d'être percuté ? Son téléphone vibra dans sa poche et il détourna les yeux de la carcasse au moment où une énième voiture terrassait ses os et sa chair de poussière.

Il lut le contact de Sakuma s'afficher sur son écran et répondit à l'appel.

《Allo ?》fit-il calmement.

《Kido ? Ça y est, tu as ma batte ?》

《Oui, je sors tout juste de chez toi.》

《Oh tu gères, Kido ! Ma mère t'a ouvert ?》

《Oui.》

《Niquel. Désolé, vieux, j'ai complètement zappé de la prendre ce matin ! D'habitude les entraînements de baseball c'est l'après midi. On se retrouve au lycée, et ce midi je te paye un ramen ok ? Pour me faire pardonner de te faire faire un détour.》

Bien sûr, les ramens rattrapaient tout, les oublis et les mauvais pas. Sakuma avait une drôle de façon de voir les choses. Il acquiesça et raccrocha, pressé de se mettre en chemin, la batte dépassant de son sac de cours. Sans un regard pour ce qui restait du chat gisant sur l'asphalte, il reprit le chemin du lycée ; il ne voulait pas arriver trop tard, ou il franchirait le portail d'entrée avec le même type de personne que ceux qui l'agressaient tous les jours, et dès le début de la journée, risquerait de se faire attaquer.

Aux abords de l'établissement, son oreille fut interpellée par une discussion houleuse, à l'angle d'une ruelle. C'était un cul-de-sac qui servait aux commerces adjacents à entreposer les poubelles, et le sol était jonché de mégots et de paquets de tabac vides. Kido savait tout ça sans avoir regardé, puisque cette petite impasse insalubre, il s'y était déjà retrouvé, à cracher de la salive rouge, moitié inconscient, alors que quelques autres ricamouchaient, dépouillant son porte-monnaie. Que pouvait-il faire contre ça ? Loser un jour, loser toujours. Un maigre herbivore ne rivalisait pas avec les mangeurs de viande.

Il suivait sa route, indifférent, ou du moins, ignorant les éclats de voix qui émanaient de la ruelle, jusqu'à ce que ses oreilles saisissent une lueur d'espoir dans le gargouillis de la haine. Il s'était figé sur le trottoir d'en face, pile devant le cul-de-sac, et avisa dans la pénombre des boutiques, le combat insolent d'un vagabond contre des brigands des grands chemins. Trois types lui tournaient autour, menaçant, et le garçon, incandescent dans l'obscurité, leur faisait fièrement face.

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