4 | Shayn

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« Les plus jolies sont souvent déprimées. »

Shayn

En voilà un quartier de bourges.

La tête tournée vers la vitre ouverte, je tends l'oreille. Le ronronnement du moteur est le seul signe de vie dans cette rue silencieuse. Quelques lampadaires parsèment l'avenue résidentielle, mais il fait relativement sombre et les haies délimitant le pourtour des maisons mangent les derniers rayons de clarté.

Au volant, Chase surveille un passant qui promène son chien. Marlon zieute les environs d'un air grave depuis la banquette arrière. Il n'y a que Mikey qui semble agité, le cuir de la voiture bruisse sous ses mouvements nerveux.

— Tu as quoi à la main ?

Chase a rompu le silence. Il fixe mon bandage fait à l'arrache avec des compresses qui prenaient la poussière dans ma salle de bains.

— Rien d'important, réponds-je du bout des lèvres.

Sa bouche se tord alors en un simulacre de sourire. Je n'aime pas ce mec. Je sais que, dans des circonstances différentes, on en serait probablement déjà venus aux mains. Il a une sale tendance à vouloir exercer son autorité sur les autres.

— Rappelez-moi chez qui on va ce soir, ordonne-t-il en coupant le moteur.

Il le sait, mais c'est pour le plaisir d'entendre à nouveau le nom des malchanceux qu'il est sur le point de dépouiller. Je parierais même que ça le fait bander. Alors que Mikey s'apprête à lui réciter sa leçon apprise sur le bout des doigts, j'observe ce qui est visible de la maison par-dessus l'immense portail.

— Chez les Grey, lui indique-t-il en s'accrochant à l'appui-tête de mon siège. M. Grey est un chef d'entreprise qui s'en sort plutôt pas mal. Il exporte des textiles. Trois millions de chiffre d'affaires annuel.

— C'était plus dans mes souvenirs, grince Chase. On aurait mieux fait d'aller à Chelsea.

— On a surveillé les allers-retours de la famille depuis une semaine, comme tu nous l'as demandé, poursuit Mikey sans se laisser décourager par son pessimisme. Chacun notre tour.

J'ai également fait du repérage. Le quartier était aussi figé que ce soir quand j'ai croisé cette désespérée dans le square au bout de l'allée.

— Là, ils sont tous à un dîner. On mise sur un retour aux alentours de 22 heures.

— Tous ? s'enquiert Chase. Vous êtes sûrs ?

Il a l'air amusé. Un silence de plomb s'abat sur la voiture. Personne n'a envie de rire. Je repense à ces traînées de sang devenues orange sur le carrelage du couloir. Aux crissements de nos pas pressés alors que nous quittions la scène de crime, et à ce sentiment constant de lourdeur qui me suit depuis que c'est arrivé.

— Détendez-vous, les gars, ricane alors Chase, conscient du malaise qu'il a créé. Ils sont combien ?

— Trois, dit Mikey en déglutissant, comme s'il prenait conscience de ce qu'il s'apprêtait à faire. Le père, la mère et le gosse sur sa petite moto électrique.

Je m'humidifie les lèvres en étudiant la maison une nouvelle fois. Toutes les lumières sont éteintes, il est près de 20 h 30. C'est trop tôt pour se coucher, mais qui sait ? Les cambriolages en période pleine sont risqués.

— Bon, on y va ? suggère impatiemment Marlon, que nous entendons pour la première fois de la soirée.

Dans le rétroviseur, ses yeux marron se plantent dans les miens, dans l'attente de mon approbation. Sa peau noire prend une teinte jaunâtre sous la faible lampe de la voiture.

TROUBLEMAKER | 1 & 2 [Sous contrat d'édition chez BMR]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant