P r o l o g u e (Tome II)

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On y est ! Le tome II de Troublemaker sort demain en librairie. 🥺🌧️🎧
Je n'ai pas fait d'update sur ce livre depuis plus d'un an mais pour l'occasion, je ranime les lieux en vous postant les cinq premiers chapitres de la version papier.

Cependant, si vous voulez suivre la sortie de troublemaker 2 de plus près, vous pouvez me retrouver sur Instagram. C'est le réseau je suis le plus active ! (lauraswan__).

À bientôt,

Laura

***

Fuir.

C'est bien un réflexe de lâche.

Quand je m'en souciais encore, c'est ce que je reprochais à mon père, lui qui n'a jamais pris la peine de me connaître. Je l'imaginais comme un de ces hommes qui frappent leurs femmes, les violent à l'occasion, puis les abandonnent quand leur ventre commence à s'arrondir.

Comment expliquer autrement l'aversion que ma mère me portait ? Contrairement à Adam, je n'avais pas la chance d'être le fils de son plus grand amour. J'avais les traits de cet homme qu'elle haïssait. Une tache noire et oppressante sans prénom ni identité.

Pendant longtemps, j'ai nié la possibilité que je puisse lui ressembler d'une quelconque façon, avant de me rendre à l'évidence : l'héritage s'étend au-delà du physique. J'ai quitté Long Island en apprenant la libération d'Adam, et maintenant...

Maintenant, quoi ?

Sans me soucier de la profonde flaque d'eau qui vient d'imbiber le bas de mon jean, je marche jusqu'à ma voiture en essayant d'ignorer sa présence à quelques mètres de moi. Si je tendais l'oreille, je pourrais sûrement entendre ses pleurs se mélanger à la pluie alors qu'elle reste statique sous l'auvent où je l'ai abandonnée.

Je pourrais y retourner.

Mais je ne dois pas le faire.

Arrivé à ma voiture, j'ouvre la portière d'un coup sec. La vision de ce connard assis sur le siège passager accentue mon envie de frapper quelque chose. Si elle n'était pas impliquée, c'est son visage ravi que je prendrais pour cible.

Je m'assois face au volant sans lui adresser un regard et baisse aussitôt la vitre pour évacuer la fumée qui a rempli chaque centimètre carré de ce véhicule. Il n'apprécie pas mon initiative et enclenche le bouton de son côté pour la refermer avant d'étendre paresseusement sa jambe au-dessus de la boîte à gants. Des résidus de terre tombent de ses semelles boueuses et atterrissent sur le plastique bombé.

— Alors, ça s'est passé comment ?

J'ignore cette question sarcastique et m'apprête à démarrer avant de trop m'attarder sur ce parking en sa compagnie. June pourrait avoir la bonne idée de me suivre. Mais quand j'enclenche le frein à main, il m'arrête de l'index en claquant la langue. Je suis de nouveau un larbin soumis à ses règles.

Je le regarde en biais. La lumière blanchâtre des plafonniers écrase toutes les ombres et son crâne rasé à blanc paraît chauve. Penché en avant, il est trop affairé à rouler quelque chose – un joint, cette fois – pour se rendre compte que, si j'écoutais ma petite voix intérieure, je l'encastrerais contre la portière.

Lorsque le résultat lui convient, il coince son joint entre ses ongles noirs et l'odeur résineuse du cannabis empoisonne l'air. Ça me rappelle pourquoi j'ai arrêté au lycée. Cette merde empeste.

— T'en veux ? me propose-t-il. C'est de la bonne. Directement importée du Maroc.

Mais il se moque bien de ma réponse. Gêné par l'éclairage trop puissant, il éteint la lampe au-dessus de son miroir de courtoisie sans se douter que cette semi-obscurité aggrave la laideur de son profil. Il a le cartilage nasal dévié depuis que je l'ai défoncé et laissé gésir sur le béton de Croydon. Je le préférais dans cet état comateux, avec son visage pâle qui paraissait presque inoffensif.

Si seulement je l'avais buté, ce jour-là.

Encore un si. Trop d'hypothèses, pas assez de concret.

— Les mecs comme toi sont trop insouciants, me lance-t-il d'un ton détaché au possible. On ne peut pas grand-chose contre eux avant d'avoir trouvé leur faiblesse.

Il prend une longue taffe tout en m'adressant un sourire suffisant.

— Et on dirait bien que j'ai trouvé la tienne.

Mon regard est happé par la silhouette de June encore visible au loin, sur le trottoir.

Pourquoi elle ne rentre pas ? Ce n'est pas comme si j'allais revenir pour lui dire que je ne pensais pas ce que j'ai dit. C'est impossible, parce qu'il connaît désormais tout d'elle. Son adresse. Le lycée dans lequel elle étudie. Le fait qu'elle entretient une relation avec l'un de ses enseignants.

— T'en fais pas, Shayn, ironise-t-il tandis que je démarre en espérant que le bruit du moteur couvrira sa voix rocailleuse. Un deal est un deal. Je ne la toucherai pas.

Ma voiture dépasse le trottoir et je la regarde s'éloigner dans le rétroviseur. Je repense à cette déception dans ses yeux.

La dernière personne à m'avoir regardé comme ça, c'était ma mère. Ce constat me déstabilise tellement que j'oublie que je suis en train de conduire et que je percute violemment le trottoir. La voiture émet un crissement métallique, audible dans tout le parking. Chase ricane en comprenant que j'ai abîmé le bas de caisse et me glisse d'un ton dégoulinant d'arrogance :

— Tu sais ce qu'il te reste à faire.

Mes doigts se resserrent autour du volant.

On sort du parking et je m'engage sur le périphérique. Les voitures se font rares. Tout est plongé dans le noir et la voie s'est transformée en ruban sombre, avec pour seule source de lumière les phares des autres véhicules. J'accélère en m'imaginant causer un accident où Chase crèverait sur le coup et où, par miracle, je m'en sortirais indemne, mais mes mains gardent le contrôle du levier de vitesse pour contrecarrer mon esprit qui divague.

Pendant que je conduis et que les chiffres du tableau de bord m'indiquent que je dépasse largement la limite de vitesse autorisée, l'image du visage de June défait par le chagrin revient sans cesse. J'essaye de me convaincre que ce n'est pas aussi grave que ça en a l'air.

Ça lui passera.

Je l'ai blessée, mais il y a des gens qu'il vaut mieux laisser partir quand c'est encore une possibilité. Ouais, il y a des gens qui méritent mieux que de subir votre incompétence.

Je veux que tu restes, June.

Que tu ne deviennes pas une autre Lucy parce que je t'ai entraînée dans ma chute.

TROUBLEMAKER | 1 & 2 [Sous contrat d'édition chez BMR]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant