« Les sales habitudes sont comme les mauvaises chansons : entêtantes. »
Shayn
Dans cette avenue étroite bordée de maisons donnant sur la rue, seuls deux lampadaires placés à bonne distance l'un de l'autre dissipent l'obscurité ambiante. Le cul-de-sac ne paye pas de mine, mais ça a le mérite d'être moins risqué que notre cambriolage d'avant-hier, en plein centre de Kensington, un quartier huppé et criblé de caméras de sécurité.
Près de Notting Hill, il n'y a pas de grilles pour séparer les maisons mitoyennes, ni de vis-à-vis. Ça nous facilite la tâche pour nous introduire chez les élus de la soirée, mais j'ai quand même la sensation que tout est trop calme et que ça pourrait finir par nous retomber dessus.
Adossé à la porte marquée au cutter de notre signe distinctif, j'attends la voiture transportant Marlon et Mikey, ainsi qu'un nouveau dont je n'ai pas cherché à retenir le prénom. Je sais simplement qu'il se chargera de nous conduire à partir de maintenant.
Je prends un peu de recul pour inspecter les maisons environnantes. Des dalles rouges à perte de vue. Les lumières sont éteintes chez les voisins, mais le doute persiste. J'espère que personne n'a la merveilleuse idée d'épier à travers ses persiennes en ce moment, parce que j'ai l'air plus que suspect. Au mieux, on pensera que je suis en train de vendre du shit, même si ce n'est pas vraiment l'emplacement idéal.
Un moteur vrombit puis une voiture s'engage dans l'allée, l'éblouissant momentanément de ses phares. Des chats feulent quelque part dans les buissons. Je me détends en reconnaissant la vieille Honda utilisée ces derniers jours et fais aussitôt signe à Marlon et à Mikey de se dépêcher. Je n'ai qu'à pousser la serrure que j'avais déjà crochetée pour gagner du temps et je suis à l'intérieur. J'entends leurs portières respectives claquer, puis la voiture faire marche arrière. Elle ne reviendra que lorsque nous aurons rassemblé assez de butin pour que ce cambriolage soit rentable.
Dans le hall d'entrée, ça sent la vanille bon marché, celle qu'on fout dans les chiottes pour camoufler les odeurs. Ce parfum entêtant semble gêner Marlon aussi, il se couvre le nez par-dessus sa cagoule en éclairant le couloir avec sa lampe torche. Mikey referme délicatement la porte derrière lui et m'interroge du regard.
Quand Chase n'est pas là, c'est moi qui tiens les rênes.
Depuis quelque temps déjà, il ne se donne plus la peine de se salir les mains et se contente d'être un superviseur qui s'assure de prendre la plus grosse marge sur nos recettes. Ce n'est pas vraiment équitable, mais personne ici n'a son mot à dire. Et puis, si je dois être honnête, ça m'arrange plutôt de ne pas l'avoir sur le dos. Je peux mettre certains objets de côté quand personne ne regarde.
La décoration de l'entrée donne un avant-goût de la vétusté des lieux. J'indique silencieusement le salon à Marlon, sur notre gauche : une pièce figée dans le passé, avec des meubles en bois lourd et des tapisseries marron qui rétrécissent l'espace.
En découvrant le téléviseur cathodique encastré dans le meuble télé, Mikey laisse échapper un grognement alliant frustration et pitié.
— Putain, je préfère cambrioler les riches, me fait-il savoir en se tournant vers nous. Je me sens moins mal.
— OK, Robin des Bois. En attendant, occupe-toi de fouiller les tiroirs.
Marlon lui tape sur l'épaule pour s'empêcher de rire avant de s'intéresser à la porte suivante, des carreaux en verre dépoli orange laissent entrevoir un pan de la cuisine. Il la pousse et je me cale derrière lui. Mon regard est happé par l'îlot central en faïence vieillot, et soudain je revois le corps de ce quarantenaire se vidant de son sang sous nos yeux.
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TROUBLEMAKER | 1 & 2 [Sous contrat d'édition chez BMR]
RomancePatienter. C'est le quotidien étouffant de June. Elle n'a plus qu'un an à passer dans son prestigieux lycée privé, un an à affronter le harcèlement constant des autres élèves. Un an à survivre dans une maison où elle n'a pas sa place, et où la viole...