Cardiaque (Thriller)

Chapitre 4 : Jules

À peine Hercule a-t-il le temps d’entretenir une ambiance lugubre et de débuter son histoire, que la sonnette se met en branle, nous faisant immanquablement tous sursauter. Les pizzas, on a failli les oublier !

En refermant la porte, et après avoir payé le livreur en billet de vingt, l’odeur de la pâte me déchire l’estomac. Nous ouvrons chacun nos emballages cartonnés dans lesquels figure le Graal prétranché. Une fois que tout le monde est prêt, Hercule reprend là où il en était.

— Je disais donc, vous ne connaissez pas la légende de Gay ? C’était il y a quatre ans, à la même période que nous sommes actuellement, fin mai. Gay était âgé de quinze ans au moment des faits. Un soir, alors qu’il pensait regarder un film seul dans sa chambre, ses parents lui demandent de monter dans la voiture en prétextant aller manger quelque part.

Chaque visage, chaque muscle est concentré sur les paroles d’Hercule. Il monopolise la discussion comme un chef. Je peux sentir mes mains se crisper en reprenant possession de mon corps.

— Au bout d’une demi-heure de route qui semblait être une éternité pour Gay, il s’aperçoit en descendant du véhicule qu’un bois lui fait face. Ses parents le forcent à y pénétrer puis font bien deux kilomètres à l’intérieur jusqu’à une cabane délabrée. Cette fois-ci, ils lui prétextent chercher le restaurant qui est vraiment bien reculé dans la forêt. Gay ne comprend pas pourquoi ils le laissent dans cette cabane et ne trouvent pas le restaurant ensemble, mais il n’a pas le temps de poser la question. Son père et sa mère sortent et ferment à clé.

Les enfoirés ! Je suis sacrément dans l’histoire. Que va-t-il lui arriver ? Je ne peux m’empêcher de frissonner en pensant que ce genre d’évènement est plausible dans le monde dans lequel nous vivons.

— En comprenant qu’il est prisonnier d’une bâtisse de bois, il tente de défoncer la porte. Malheureusement pour lui, lorsqu’il y parvient enfin, son épaule est en miette, peut-être même déboîtée, et il s’est écoulé plusieurs dizaines de minutes. Ses parents l’ont abandonné. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Ce même soir, alors qu’il implore une aide précieuse en larmes, il tombe sur une meute de loups affamée qui le dévore vivant. Il paraîtrait qu’en s’approchant trop près de la cabane, au cœur de ces bois, nous pouvons entendre des hurlements lors des pleines lunes, suivis par des déchirements de tissus humains. La chère qui explose des entrailles de Gay.

Baptiste et Justine applaudissent, tandis que Marie est sous le choc, les yeux effarés. J’avoue ne pas être insensible à cette légende nauséabonde et malsaine.

— Bravo, superbement raconté Hercule, applaudit Baptiste.

Ce dernier se lève, un sourire en coin, et salut son public en mettant la paume de sa main sur son cœur.

— Merci, chers spectateurs, j’espère que ça vous a plu !

Une idée germe dans mon esprit. Mon front se tend. Je plisse les yeux.

— Hercule, ton histoire est très bien racontée et je comprends le lien avec nos cinq mots, mais quel est le défi dans tout ça ?

Il place deux mains sur sa nuque et se balance sur sa chaise d’avant en arrière ce qui cause un léger grincement.

— Ça me paraît totalement clair, non ? On va passer une nuit dans la cabane maudite !

Marie bondit et tape du poing sur la table en bois. Heureusement qu’elle n’est pas en verre. Je n’ai jamais vu mon amie dans cet état. La frayeur s’est emparée d’elle.

— Il est hors de question que je m’approche une seconde de cette forêt, tu m’entends ! Vous en avez encore des idées à la con comme celle-ci ?

Elle se calme au bout d’une petite minute. Hercule reste de marbre, habitué aux changements soudains de comportements de Justine, qui d’ailleurs ne réagit toujours pas à sa proposition. Pourtant, même si je ne connais pas ses goûts en matière de films, je ne suis pas sûr que ce soit la première à aimer l’horreur. De plus, je sais qu’une minuscule araignée l’effraie comme pas possible. Baptiste m’extraie de mes réflexions.

— De toute façon Hercule, on est d’accord qu’il ne s’agit que d’une légende ? Et puis la forêt et la cabane dont tu parles n’existent pas réellement j’imagine.

Justine, enfin intéressée par le débat, répond à la place de son frère, symbole de son intelligence :

— Les légendes sont généralement des histoires qui expliquent des faits ou des choses qui existent réellement, légèrement déformées. Ici, la cabane délabrée dans la forêt, est à une heure de route. S’il s’agissait d’une histoire, tout aurait été inventé. Chacun est libre de croire ce qui lui est propre dans tous les cas.

Cette fille m’épate. Elle est capable de surfer sur Internet et de s’intéresser à des futilités puis, dans la seconde qui suit, de donner la définition du mot Légende à un adulte de trois ans de plus qu’elle.

Baptiste acquiesce sans dire un seul mot.

— Vous verrez, ça sera génial, complète Hercule.

Dans un silence qui fait froid dans le dos, nous terminons notre repas tout juste chaud. L’un des derniers avant le drame, mais ça, le moi du passé ne le sait pas encore.