Un homme comme elle

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Ma montre sonne la fin de l'atelier. Après quelques derniers mots d'usage aux élèves, je remballe hâtivement mes affaires dans mon sac à dos et m'échappe de la salle de classe pour filer aux toilettes.

Je claque la porte de la cabine, me plaque dessus avec un bang sonore et inspire profondément, jusqu'à ce que ma tête se mette à tourner et mes genoux à trembloter.

Je suis arrivée la peur au ventre, avec mon pull et mon pantalon fraîchement achetés le matin-même ; Léa m'accompagnait, au moins aussi tendue que moi. Et une fois arrivée dans le bâtiment, les jambes flageolantes...

« Bonjour, M. Debacker ! »

« Bonjour, M'sieur ! »

« Pardon, M'sieur ! »

Il m'a fallu un moment pour admettre que je n'étais pas en train de rêver. Pour tout le monde, élèves comme profs, je suis « Monsieur » ! Je suis « il » ! Aucune question, aucun regard étrange. Tout avait été parfaitement naturel.

Monsieur Micha Debacker.

Pour tout le monde.

Tous.

Sauf Léa.

M. Debacker !

Et me voilà donc, dans les toilettes du bâtiment où je viens de passer une heure d'atelier à expliquer comment dessiner des yeux manga, à me retenir de rire tout seul comme un maniaque.

Je ne parviens même pas à mettre de mots sur ce que je ressens. Je jubile tandis que mes entrailles se tordent. C'est donc ça, la folie ?

Fébrile, je fouille mon sac à dos et en sors hâtivement mes papiers d'identité. Je les ai regardés au moins quinze fois depuis ce matin. Micha Debacker, M.

Même la photo est différente. Le cou plus large, la mâchoire plus carrée, les sourcils plus épais.

Je devrais me pincer, mais je ne veux pas. Si c'est un rêve, je ne veux surtout pas me réveiller. J'ai trompé le destin... J'ai réussi ! Je suis un homme ! JE SUIS UN HOMME ! Je suis essoufflé comme si je venais de hurler à pleins poumons.

– Hahaha... haha...

Je plonge ma figure dans mes bras pour me calmer, écoutant les battements de mon cœur qui résonnent dans mes tympans. Je ne sais pas si je suis euphorique ou au bord de la crise de nerfs. La frontière est floue.

L'heure tourne et j'entends des voix d'élèves retentir à l'extérieur. Il est temps de sortir de ma cachette. J'ai l'impression que je vais me disloquer en marchant.

Dans le couloir, je croise Julie, une fille d'à peu près mon âge qui donne des cours d'aquarelle. Elle tient un grand carton à dessin sous le bras, des feuilles menaçant de s'en échapper à chacun de ses pas.

J'hésite une fraction de seconde.

– Julie ?

Elle se retourne, un grand sourire sur les lèvres.

– Oui, Micha ? Ça s'est bien passé, ton atelier de tout à l'heure ? Je t'ai vu partir, mais je n'ai pas eu le temps de t'attraper. Tu avais l'air pressé !

Mes doigts se crispent autour de la bretelle de mon sac à dos.

– Oui, euh... très bien. Ils sont un peu turbulents, mais très gentils. Enfin, c'est normal... mais... euh...

Elle sourit d'un air compréhensif. Je déglutis. Je dois poser cette question qui me brûle les lèvres, quitte à passer pour un abruti complet.

– Excuse-moi si tu trouves ça bizarre, mais tu n'as rien remarqué de... différent chez moi ?