8

94 9 0
                                        


Les champs défilent derrière la fenêtre du train. Sur le siège à côté du mien, Léa feuillette un magazine de jeux vidéo qu'elle a acheté à la gare et commente les articles qu'elle trouve intéressants.

Notre destination ? La maison de mes parents.

J'ai reçu un autre coup de fil de ma mère nous demandant si on pouvait venir, moi et Léa, pour le week-end du 15 Août. Léa n'était pas franchement chaude à l'idée de voir sa belle-mère... laquelle, d'ailleurs, s'était opposée à notre relation avant de finalement accepter l'inéluctable lorsqu'elle s'est rendu compte qu'elle ne gagnerait pas la guerre. Après quoi, elle avait fini par se détendre à notre sujet et avait même convaincu le reste de la famille de ne pas trop nous emmerder. Pour être franc, leur avis m'importe peu... mais j'étais content que Maman finisse par comprendre et me laisse vivre comme je l'entends. En amour tout du moins – jamais je n'aurais abordé le sujet de mon identité de genre avec elle. Oh là là, jamais !

Bref, nous n'avons pas le choix. Quand ma mère veut quelque chose, il vaut mieux rappliquer fissa. Je pose ma tête sur l'épaule de Léa, qui me tapote doucement le dos.

Plus que jamais, elle est ma bouée de sauvetage dans un océan de doutes.

*

Après quelques minutes de trajet en bus, ma mère nous accueille avec un sourire qui semble rejoindre ses deux oreilles avant de nous couvrir de baisers. Sonnée, Léa fait des yeux aussi ronds que ses montures de lunettes, avant de me regarder d'un air perdu. C'est la première fois que ma mère se montre aussi affectueuse envers elle. Cette réalisation me donne froid dans le dos. Oh, Maman ! Ne pouvais-tu pas te comporter de la sorte avant, lorsqu'on était un couple de femmes ? Ça se voit, là...

– Allez-y, entrez ! lance-t-elle d'une voix joviale. N'oubliez pas de retirer vos chaussures, ou vous allez tout crotter dans le couloir.

Nous prenons soin de nous exécuter avant d'avancer dans le couloir de mon enfance, avec ses assiettes décoratives qui remplissent les murs à la tapisserie défraîchie par les années. La pluie de ces derniers jours a transformé le jardin en un véritable marécage, m'explique ma mère alors que j'accroche mon gilet à capuche au portemanteau.

On dépose nos affaires en échangeant des banalités. La pluie, le beau temps, le boulot, l'appart, la famille... Et voilà que ça recommence, j'ai l'impression que quelque chose cloche, qu'il y a quelque chose d'anormal.

Évidemment. Entendre ma mère s'adresser à moi au masculin semble surréaliste ; malgré nos nombreuses conversations téléphoniques, je ne m'y suis toujours pas fait. Peut-être est-ce le fait qu'elle se trouve devant nous en chair et en os, d'autant plus qu'elle nous voit comme un couple parfaitement normal qui la comble de bonheur. Difficile de la reconnaître. Je réponds, j'acquiesce, je ris, mais ses mots ricochent contre moi comme des galets sur l'eau d'une rivière.

J'ai envie de me mettre une claque. J'ai toujours rêvé qu'elle me voie comme son fils, ou du moins pas comme une fille, pas entièrement. J'ai attendu pendant des années d'aborder le sujet, sans jamais pouvoir m'y résoudre. Et à présent que c'est le cas, ça me perturbe ? Soyons sérieux...

Plus tard arrivent mon oncle Fred et ma cousine Aurélie. Repas de famille, tout ce qu'il y a de plus banal. Mais j'ai l'impression de revivre la scène du restaurant asiatique. En pire.

Léa doit percevoir mon trouble, car ses doigts viennent caresser les miens sous la nappe. Je lui coule un sourire discret pour la rassurer, mais un trait barre son joli front.

Je suis agacé. Non seulement je suis agacé parce que leur comportement a changé vis-à-vis de notre couple, mais pire encore, j'ai envie de les corriger lorsqu'ils s'adressent à moi. Ça me brûle, ça me démange. Je dois absolument faire disparaître ce réflexe de mon cerveau conditionné. L'écraser, l'étouffer.

Un homme comme elleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant