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C'était un après-midi de juillet pluvieux, dans un centre commercial fraîchement ouvert où se pressent locaux et touristes, se culbutant dans les escalators et les allées vernies pour terminer leurs achats d'été trop longtemps retardés. Un dernier bikini, un dernier T-shirt avant de partir au soleil, loin de cette région à la météo imprévisible qui les oblige à trimballer k-ways et parapluies.

En ce qui me concerne, mon soleil, il est juste à côté de moi – et il rayonne. Son bras tiède réchauffe le mien et sa jupe sombre décorée de broderies multicolores flotte au rythme de sa démarche aérienne.

Léa est ma petite amie depuis... je crois que ça va faire deux ans à présent. Elle porte d'immenses lunettes rondes qui agrandissent ses jolis yeux noisette et ses longs cheveux bruns, dans lesquels flottent deux nattes finement tressées, cascadent jusqu'à frôler ses jolies hanches. « Léa, tu es magnifique », lui répétais-je sans cesse. Elle gloussait et tortillait ses doigts fins avant de répondre, les joues rouges : dragueuse, va.

Ce n'est pas très vrai. Je ne suis pas douée avec les gens en général, alors draguer ? N'y pensons même pas. Si nous nous sommes rencontrées, c'est le fruit d'un très heureux hasard, ou presque, car nos routes ne se seraient probablement jamais croisées sans un gros coup de pouce de la part de nos connaissances communes. Il n'y a que dans les films qu'on trouve l'âme sœur en renversant un livre dans la rue ou dans une rame de métro (ne le faites pas : vous allez juste salir votre bouquin.)

Léa a emménagé chez moi juste hier. Elle vient tout juste de terminer (avec brio) ses études de lettres qui la retenaient dans une région voisine ; jusqu'à maintenant, nous devions compter sur les week-ends et les vacances pour se retrouver. De mon côté, j'ai terminé ma troisième année d'études d'art il y a quelques semaines et j'anime occasionnellement des ateliers de dessin dans des centres d'activités et des médiathèques, tout en essayant de faire décoller mon activité de dessinatrice. « Essayer », c'est le mot.

Les doigts de Léa se glissent entre les miens et je frétille comme une adolescente qui découvre l'amour. Cette sortie est bien agréable, mais j'ai encore plus hâte qu'on se retrouve seules dans notre nid, notre cocon rien qu'à nous.

J'ai encore peine à y croire : le début de notre vie à deux ! Plus rien ne pourra nous séparer, à présent. Je l'aime, elle m'aime. Il n'y a aucun secret entre nous...

Enfin... presque.

Je sens mon sourire disparaître. Et voilà, ça recommence. Je me concentre sur Léa, sur le magasin, sur les baies vitrées donnant sur une rue piétonne noire de monde.

Mais c'est encore pire. Je vois les hommes. Je vois les hommes tenir la main à leur petite amie, comme moi actuellement. Je vois leur torse plat, leurs épaules larges, leurs T-shirts qui tombent droit sur leurs hanches étroites. Je ne dois pas y penser. Je ne dois pas y penser. Tant que je n'y prête pas attention, ce n'est rien de plus qu'un petit grésillement étouffé au fond de ma tête, si petit, si lointain que je l'entends à peine. Il sait se faire discret lorsque ce n'est pas le moment.

Voilà, respire. Chasse-moi tout ça de ton esprit et profite donc de cette belle journée.

Léa me tire de mes pensées envahissantes en tirant sur ma manche de pull, et on entre dans une boutique de vêtements connue. Je me rends vite compte qu'il s'agit d'un magasin mixte et mes yeux se promènent malgré moi sur les rayonnages de vêtements masculins tandis que Léa m'entraîne vers les robes en promotion.

Mon cœur se met à battre plus vite tandis que mes yeux s'accrochent désespérément aux chemises, aux pulls, aux vestes, aux pantalons droits. Non, je ne peux pas... Si je cède, c'est fichu. Si je cède, je vais briser ma bonne humeur, ruiner cette journée idyllique. Le grésillement va surgir, il va remplir ma tête ; je ne penserai plus qu'à lui et je n'entendrai plus rien d'autre.

Un homme comme elleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant