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Les heures passent. Le soleil se couche, puis se lève. Le matin, je me réveille en sursaut pour palper mon torse et découvrir avec une joie indescriptible que rien n'a bougé. Je suis le même garçon que la veille. Je n'ai pas un poil de plus sur le visage – d'ailleurs, je n'ai pas une pilosité beaucoup plus développée qu'avant ; pour un homme, je reste plutôt androgyne, comme j'en avais toujours rêvé. Je ne sais pas qui est responsable de cette métamorphose, mais je voudrais l'embrasser !

Léa, en revanche, n'est pas vraiment de cet avis. Elle a poussé un long soupir, avant de partir se préparer en évitant mon regard. Quand je la rejoins dans la cuisine, le lait s'écrase en silence dans le bol de céréales.

Je dois lui dire. Je dois vraiment lui dire... Oui, je devrais... Non, pas tout de suite. Pas encore.

* * *

Allongée dans le canapé avec ma console portable, j'entends Léa taper frénétiquement sur le clavier de son ordinateur. Incapable de rester les bras croisés, elle s'est mise en tête de trouver des cas similaires au mien sur Internet, au cas où cela pourrait nous apporter au moins un début de réponse. Mais selon ses dires : « Tout ce que je trouve, ce sont des bande-dessinées chelou ».

Je ne suis pas étonnée. J'ai l'impression d'être dans un de ces mangas où le protagoniste – généralement masculin – se réveille dans un corps du sexe opposé. Oh, si les auteurs de ces histoires savaient que ça pouvait se produire en vrai, ils n'en reviendraient pas. Je me demande s'ils voudraient eux-mêmes que ça leur arrive. Est-ce qu'ils y ont déjà réfléchi ?

Je mets mon jeu en pause.

– Léa ? Comment tu te sentirais, si ça t'était arrivé à toi ? dis-je pour briser le silence.

Elle s'arrête et se retourne sur sa chaise avec un sourire gêné.

– On... On va trouver, Micha. Ne t'inquiète pas. Il... Il doit bien y avoir quelque chose... dit-elle avant d'aussitôt retourner à son écran.

Elle n'a pas répondu à ma question, mais je n'insiste pas. J'imagine qu'elle ne veut pas me blesser. Pour n'importe quelle fille normalement constituée, ce serait un cauchemar, sans doute. Je regarde mes grandes mains et un sourire se dessine tout seul sur mon visage. Qu'est-ce que ça fait, d'être une fille normalement constituée ? Je me le demande.

– Tu as mangé quelque chose de spécial, hier ?

– On a toutes les deux mangé la même chose, je te l'ai dit dix fois.

– Pas autre chose, du tout ? Du tout ?

– Non, le même burger au poulet frit... et les nouilles thaï le soir...

– Eh bien, si c'est une réaction au burger, j'ai eu chaud.

– N'empêche, ça ferait un bon scénario de « bande-dessinée chelou », non ?

– Quoi ? dit-elle en fronçant les sourcils.

– Un burger qui change le sexe des gens.

– Non merci.

Elle me tire la langue avant de retourner à son écran. Je pose ma console et me lève pour regarder par-dessus son épaule.

J'ai envie de lui dire d'arrêter de se démener, mais je sais que ça n'y changera rien. C'est normal qu'elle panique. C'est juste moi qui suis bizarre. Je veux garder cette taille, ce torse plat, ces grandes mains, cette voix qui me donne envie de parler toute la journée. J'ai envie de redécouvrir le monde. De faire tout ce que j'ai toujours fait, mais avec cette nouvelle apparence. Être « monsieur » aux yeux de tous ! Rien qu'à y penser, je sens mon estomac se tortiller d'excitation. Ces pensées qui me faisaient si peur auparavant me semblent maintenant évidentes. Comme si le grésillement avait laissé place à des voix très claires et intelligibles.

Un homme comme elleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant