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Je ne sais pas depuis combien de temps je cours. Il pleut des cordes, mes vêtements sont trempés et mes cheveux se collent à ma figure.

Je n'en ai rien à foutre. Je cours jusqu'à n'en plus pouvoir, jusqu'à devenir écume. Je cours aussi loin que mes jambes blessées peuvent me porter. Je cours en ignorant les couteaux qui transpercent mes pieds et mon cœur. Je cours entre les voitures, j'ignore les klaxons, les gens qui se retournent sur mon passage.

En fait, quand je vois les voitures, j'ai juste envie de me jeter dessus. J'ai envie qu'elles me fauchent, qu'elles mettent fin à ce cauchemar, que tout devienne noir et silencieux pour toujours.

L'épuisement finit par me gagner, mais je suis toujours là, bel et bien humain et entier. Chancelant, je finis par m'effondrer sur le garde-fou de la rivière. Je n'avais même pas remarqué que j'étais arrivé aussi loin.

Derrière moi, les voitures se croisent sur la route. Je me retourne et les regarde, leurs phares éclairant les flaques comme s'il faisait déjà nuit, tant les nuages obscurcissent le ciel.

J'ai envie d'en finir.

Il suffirait d'un pas.

Juste un pas...

– Micha !

Une voix me parvient dans le brouillard. Je cligne des paupières ; derrière le rideau de voitures, Léa, essoufflée, échevelée, un parapluie à la main. Ses lunettes sont constellées de gouttes de pluie.

– Micha, arrête ! C'est dangereux ! s'époumonne-t-elle pour couvrir le bruit des moteurs.

À contrecœur, je recule d'un pas pour la rassurer. Le feu passe au rouge et elle trottine sur le passage piéton. Je recule de plus belle, le bras tendu devant moi.

– Ne... ne m'approche pas !

Léa s'arrête, les mains crispées sur son parapluie. Une grimace de désespoir déforme son visage.

– Explique-moi, à la fin ! Bon sang Micha, explique-moi ! Je ne comprends pas ! Je veux comprendre ! Qu'est-ce qui ne tourne pas rond, chez toi ? Je veux t'aider, mais si tu ne dis rien, je ne peux rien faire !

Je sais pas qui je suis !

Plus qu'un cri, un rugissement d'animal blessé. Léa fait un pas en arrière, surprise par le volume de ma voix.

– Je sais pas qui je suis ! continué-je. Je l'ai jamais su ! Je pensais être un homme, mais même là, je me suis peut-être planté ! Même quelque chose d'aussi simple qu'être moi-même, j'arrive à le foirer ! Tu te rends compte de ça ? Je voulais qu'on m'appelle « monsieur », je voulais être un homme aux yeux de tous, et maintenant, j'ai envie de vomir dès qu'on s'adresse à moi comme ça !

Mon cœur bat la chamade. Les mots se déversent hors de ma bouche. Ils rejoignent la flotte qui nous tombe dessus par seaux. Elle me fixe d'un air confus, les doigts serrés autour de son manche de parapluie.

– Pourquoi ? demande-t-elle doucement.

– Parce que je suis...

Mon souffle se coupe.

Je n'arrive pas à le dire.

Je ne veux pas le dire.

Je ne veux pas admettre la vérité.

– Une... femme ? termine-t-elle.

– Non... Non... ha, ha... Non... Bien sûr... que non...

J'éclate d'un rire nerveux et écarte les bras :

Un homme comme elleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant