Chapitre 3 : Des alliances insolites

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Harold fut le premier à sortir de l'infâme mairie aux couleurs psychédéliques. La porte arrière était composée d'un vieux métal rouillé depuis des lustres et produisait un vacarme assourdissant lorsque l'on ouvrait. Par chance, le Vampire était parti expulser sa rage au loin, dans le cimetière de la dimension. Harley suivait le loup-garou de près, puis Hannah les rejoignit à l'extérieur, sur la pointe des pieds. Dernière dans la file, elle s'assurait que l'Alien ne les suive pas. Ce dernier, bien sonné, était toujours étendu sur la moquette luxueuse du bâtiment que le trio venait de quitter avec succès.- Damné sera celui qui réussira à attraper Harold et Hannah pour toujours!Sur cette prose enflammée, Harold prit sa conjointe par la taille et l'embrassa langoureusement, provoquant le dégoût chez la pauvre Harley.- Hé oh! Lâchez-vous, les louveteaux! Je vous rappelle que ma moitié m'a abandonnée dans les moments les plus sombres!La main sur le front positionnée comme une comédienne dans une tragédie grecque, l'arlequin exagérait fortement sa réaction.- Qui a besoin de ce zouave? On peut très bien se débrouiller pour se sortir du pétrin tous les trois, répliqua Hannah.- Comme si tu avais besoin d'un clown en costard pour te dire quoi faire, rajouta Harold.- Et mon habit à carreaux, tu ne l'aimes pas, c'est ça?Le couple ne trouva rien à dire pour réconforter Harley. Harold, mal à l'aise, se frotta la nuque frénétiquement.- Trouvons-nous un endroit où loger, nous nous querellerons par la suite, dit Hannah pour abaisser les tensions qui régnaient.Le groupe se mit en marche en silence. Harley regardait dans tous les sens dans l'espoir de voir ne serait-ce qu'un petit bout de costard violet appartenant à son chéri, mais rien de cela n'arriva. Elle traînait du pied à travers les rochers pointus. Harold et Hannah marchaient côte à côte derrière Harley. Chercher un logis se révélait beaucoup plus complexe que prévu. Dans cette ville, aucune porte n'arbrorait de panonceau où il serait écrit : «À vendre pour personnes s'étant juste enfuies de la mairie». Bien sûr, il était évident qu'aucune ville ayant à sa tête des gens bien-pensants n'autoriserait ce genre d'annonce. Harold Wilkins avait une solution bien à lui pour le problème du trio.- Que diriez-vous d'entrer dans la première maison que nous allons voir au coin de la rue?Après quelques instants d'hésitation, les deux femmes répondirent par l'affirmative. - Essayons cette petite chaumière alors!, s'écria l'homme en poussant la porte de l'habitation en question.- J'aime bien son côté impulsif, ça me donne envie de..., commença Hannah.- Hannah, non, il y a peut-être des enfants dans cette maison!, la stoppa Harley.Le pied du loup-garou s'écrasa dans la mince porte en bois. Par la plus grande des chances, aucun loquet ne semblait retenir la porte, qui s'ouvrit sur un long vestibule qui semblait se poursuivre à l'infini.- On entre?, demanda Harold.***Un verre de cognac à la main, le Démon errait dans la brume de la ville, cachant les ongles pointus et sales de ses orteils. Sa peau rouge écarlate contrastait avec sa toge sombre où était dessinées des flammes orange et jaunes. Il avait très souvent un verre d'alcool à la main, mais il n'était pas connu pour être un soûlon. Son parcours le classait plutôt dans la catégorie des criminels notoires, ceux qui n'ont aucune pitié ni scrupules. Selon plusieurs intellectuels, certains individus veulent seulement voir le monde brûler. Le Démon représentait parfaitement ce genre de personnes sociopathes, voulant seulement créer le chaos et l'anarchie dans son environnement. Une seule personne de ce type dans une ville, c'est bien assez. Imaginez deux de la même sorte dans le même espace. Le monstre but une gorgée de son alcool fort, puis lança son verre sur le sol. Les éclats de verre produisirent un son monstrueux qui attira l'attention du Joker, toujours perdu dans son passage tortueux.- De la vie, enfin!, s'écria-t-il.Le Démon, certain d'avoir entendu des bribes de parole, leva la tête, présentant ses cornes tordues et menaçantes. Injectés de sang, ses yeux rougeâtres aux pupilles serpentines vit une petite partie d'un costard violet dans la brume environnante. Du côté du Joker, il voyait le Démon dans toute sa splendeur, des cornes à la cape enflammée. - Approchez, je ne vous ferai pas de mal, susurra le Démon. Pas à vous, en tout cas.Le sourire aux lèvres, le clown s'approcha d'avantage, jusqu'à se trouver nez à nez avec le monstre. Il tendit sa main blanche pour se présenter :- Je suis le Joker, Prince du crime et anarchiste à ses heures.Le Démon révéla un sourire empli de canines sous son nez aquilin.- Ravi de faire votre connaissance. Je vois que nous partageons déjà les mêmes valeurs.- Vous savez ce que l'on dit, mon cher : un pour le chaos, tous souffrent du chaos.- Pensez un instant à ce que nous pourrions faire tous les deux, M. Le Joker.- Les idées se multiplient à l'instant dans ma cervelle, monsieur... monsieur?- Appelle-moi simplement Scalise, répondit le Démon. Il prenait son patronyme d'un passé trouble.- Très bien, Scal. Comme tu connais mieux le coin que moi, montre-moi où nous pourrions commencer pour rendre cet endroit moins bureaucratique, demanda le Joker en suivant le tutoiement de son nouveau compagnon.- Suis-moi, dit le monstre, plus empli de détermination que jamais.Le clown lui emboîta le pas. Son allié nourrit la conversation :- Comment tu es arrivé dans ce trou perdu?- Oh, je ne suis pas venu seul, mon ami. J'étais avec ma copine et un autre couple, des loups-garous.- Le maire a dû vous botter les fesses, j'imagine.- En plein dans le mille. Il n'était pas question que je me fasse réprimander par un homme à la peau pâlotte comme lui, alors j'ai décidé de fuir.- En laissant ta copine derrière?, demanda le Démon, intrigué.Le sourire aux lèvres, le gangster répondit :- Parfois, ce à quoi tu t'accroches férocement est exactement la chose dont il faut que tu te débarasses.L'homme à cornes éclata de rire.- À ce que je vois, tu préfères travailler seul. Pourquoi tu es si intéressé par une alliance avec moi alors?- Tu as la même folie dans les yeux que celle que j'avais dans mes débuts. C'est très inspirant.Scalise regarda le Joker dans les yeux.- Si tu savais à quel point je suis fou, tu retournerais voir ton petit vampire à la con.*****Étendue sur le sofa, Harley regardait le plafond, s'ennuyant ferme.- Maintenant que s'est enfui du maire, il n'y a plus rien à faire ici!- Harley, cela fait seulement cinq minutes que nous sommes entrés dans cette chaumière, rappela Hannah.La chaumière en question était beaucoup plus petite que le vestibule le laissait penser. La pièce principale, arrondie par des murs qui semblaient en carton-pâte, était tapissée d'étagères contenant diverses potions et élixirs. Les fondations du toit laissées visibles mettaient en vedette des immenses billots de bois. Une table unique trônait au centre de l'espèce de cuisine servant également de salon et de chambre. En effet, un grand lit à baldaquin se trouvait juste à droite du sofa. - C'est minimaliste comme endroit, dit Harold en s'asseyant sur le lit.Soudainement, Hannah leva la tête, ses oreilles se métamorphosèrent en celles d'un loup-garou et elle se mit à japper incontrôlablement. Harley la regardait, incompréhensive, tandis que Harold se mit à paniquer.- Elle jappe comme ça quand quelqu'un est sur le point d'arriver. Cachons-nous!Sur ces mots dits en vitesse, Harold se réfugia sous les couvertures du lit, Harley se glissa sous le sofa et Hannah fit de même sous le lit. La porte de la chaumière s'ouvrit en grand, laissant entrer la Sorcière, la maître de la magie noire à Monsterland.- Sac d'Os, je crois que le loquet de la porte est brisé. Tu vas le réparer à l'instant!- Oui, madame, répondit son compagnon, le Squelette.La Sorcière traversa le vestibule avec ses chaussures à la semelle épaisse, après avoir déposé son balai fourchu dans l'entrée. Sa longue robe noire était réparée à certains endroits avec des bouts de tissus cousus à même le vêtement. Sa peau n'était pas verdâtre, comme dans les contes traditionnels, mais elle portait tout de même un chapeau pointu propre à ce type de monstre. Le dos quelque peu bossu, elle ressemblait davantage à la fée Carabosse qu'à la Méchante Sorcière de l'Ouest de Nemesisland. D'un pas lent et régulier, elle arriva dans son chez-soi et remarqua tout de suite que quelque chose clochait.- Tas d'os, viens ici avant de réparer le loquet. J'ai besoin de ton flair. Le Squelette, appelé par tous les noms par la Sorcière, occupait la position de serviteur du monstre. Il devait accomplir tout ce qu'elle lui ordonnait de faire. Chaque membre de son corps étant si fragile, il devait faire très attention à ne pas la frustrer. Après tout, il avait les os, mais pas la chair.- Oui, madame?- Tu ne trouves pas que la pièce semble différente?Le Squelette prit tout son temps pour réfléchir.- Non, madame.- Oui, quelqu'un est rentré ici, j'en suis sûre.«Si tu le sais déjà, pourquoi tu me le demandes, vieille pimbêche?», se dit le tas d'os dans sa tête, ou plutôt dans son crâne. D'un claquement de doigts, la Sorcière fit rouler Harley hors du sofa, puis tapa son pied sur le sol pour faire sortir Hannah de la poussière sous le lit.- Eh bien, eh bien, qui va là!- Ne nous faites pas de mal! On voulait seulement se trouver un endroit où être en sécurité, se plaignit Hannah.Sans l'écouter, la Sorcière retira les couvertures du lit et dévoila un Harold paniqué.- AAAAHHHH! Une sorcière!Alors qu'il gesticulait, il laissa tomber la boîte à musique qu'il avait subtilisé de la poche du Joker avant que ce dernier ne s'évade de la mairie. Harley la rattrapa au vol et la mit dans sa poche.- Toi, tu ne bouges plus d'ici!, dit-elle en réprimandant la boîte.La Sorcière, qui allait écraser les doigts des intrus, s'arrêta en voyant l'échange qui venait tout juste de se produire. Elle reconnaissait l'objet. Sa puissance était inégalée à travers toutes les dimensions. Il s'agissait de ce que les Créateurs des Dimensions appelaient le premier Artéfact des Temps Anciens. Ces êtres célestes étaient déjà entrés en contact avec la Sorcière, il y a de cela des lustres. Quelle interaction c'était! Que de discussions philosophiques! Elle pensait ne jamais revoir la beauté de la boîte à musique, sa droiture, ses décorations dorées. Personne ne pourrait comprendre à quel point cet objet était capital pour elle.- Madame, qu'allons-nous faire de ces brigands?, demanda le Squelette, extirpant sa maîtresse de ses pensées.La Sorcière lui lança un regard noir, puis elle se tourna vers Harold, Hannah et Harley, encore une fois tétanisés par la peur.- Pourquoi on dirait que tout le monde ici veut notre mort?, se demanda Hannah.- Peut-être parce qu'on entre par infraction dans leurs maisons, répondit Harley sur un ton pince-sans-rire.La femme au chapeau pointu présenta son plus beau sourire aux intrus. Ses dents crochues firent sursauter Harold.- Mes chers camarades, je crois m'être emportée. Après mûre réflexion, je vous souhaite la bienvenue dans notre chaumière. Faites comme chez vous! Diantre, je vais même vous préparer une petite soupe afin de pendre la crémaillère!En quelques pas, la femme avait atteint son chaudron, trônant sous les inombrables étagères. Le trio se regarda, sous le choc. Comment cette femme semblant si horrible et pugnace pouvait tout d'un coup devenir si douce et calme? Le Squelette se pencha au-dessus des nouveaux venus et, comme s'il avait lu dans leurs pensées, dit : - Elle est difficile à suivre, je suis bien placé pour le savoir. Je suis le Squelette, ravi de vous rencontrer.

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