Chapitre 16 : Idylle et platine

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L'amour est l'une de ces choses qui s'expliquent difficilement à une espèce différente de la nôtre. Même entre humains, définir ce qu'est l'amour est compliqué. À quel stade une attirance devient assez forte pour oser la comparer à de l'amour? Comment prouver son affection pour l'autre outre que par les mots? La monogamie est-elle la seule option possible? Cette dernière question a de quoi faire lever plus d'un sourcil. Pourtant, c'est une pensée qui traversa l'esprit d'Harley Quinn, qui avait maintenant passé une journée entière avec son ancien tortionnaire, l'Épouvantail. L'arlequin était reconnue à Gotham pour son caractère impulsif, mais à Monsterland, elle atteignait des sommets en matière de vie vécue sur le coup des émotions. Séparée du Joker depuis plusieurs jours maintenant, la soif en attention d'Harley était loin d'être étanchée. L'homme de paille était arrivé au bon endroit, au bon moment. Les psychologues ont un nom pour ce genre d'interaction, appelée syndrome de Stockholm. Bien que le cas présenté ici ne remplit pas toutes les conditions reliées à cette condition, la comparaison est tout de même légitime. Ainsi, Harley passa la nuit dans une vieille limousine traînant près du cimetière après avoir pleuré sur l'épaule de l'Épouvantail. Le véhicule n'avait pas de pare-brise, il y faisait donc très froid, mais le gardien de la dimension eut l'amabilité de lui prêter une couverture. Elle était certes trouée, mais rares étaient les choses neuves à Monsterland. Le matin, Harley se réveilla, agitée par l'Épouvantail, qui hurlait presque pour la réveiller.- HARLEY! Viens voir ça!- Euh... Quoi?La bouche pâteuse, la femme vit que l'homme de paille avait la main sur son bras, passant dans la portière ouverte du véhicule de luxe. - J'ai vu le lever du Soleil que quelques fois dans mon temps ici, et aujourd'hui, il... Je ne peux même pas le décrire, allez, suis-moi!Harley fut prise d'une grande surprise lorsque l'Épouvantail lui prit la main, non seulement à cause de la brutalité enivrante du geste, mais aussi due à un drôle de sentiment qu'elle sentait bouillir dans son âme. Quelque chose qu'elle n'avait pas ressenti depuis sa rencontre avec le Prince du Crime. Malgré tout, la criminelle ignora son émotion et suivit l'homme de paille surexcité. Il l'amena près de l'arbre mort où ils s'étaient assis la veille et la femme ne put s'empêcher de laisser tomber sa mâchoire. Dans le ciel de Monsterland, on voyait une boule radieuse laissant s'échapper une myriade de rayons se réfléchissant sur les quelques nuages présents en ce matin plutôt frisquet. Un dégradé orange-jaune, tirant presque sur le rouge, était barbouillé sur l'entierté de la voûte céleste. Lentement, la boule se levait, marquant encore plus sa forme sphérique. Tous ces éléments formaient le lever de Soleil classique de tout film romantique, ce qui n'aidait pas Harley.- Wow, je... je suis bouche bée.- Ne le quitte pas des yeux, le prévint l'Épouvantail. Les quatre ou cinq fois que j'ai vu ce phénomène, il n'a duré que quelques secondes à peine.Le gardien eut raison. Harley n'eut le temps de voir le Soleil que pendant une fraction de seconde avant que le temps morne et gris habituel de la dimension reprenne du service. La tension qu'elle ressentait en elle se mit à baisser quelque peu. Cependant, elle remonta en flèche lorsqu'elle vit que le pantin animé la regardait dans le blanc des yeux.- Dis, je voulais essayer quelque chose il y a longtemps déjà, mais jamais personne n'a voulu le faire avec moi. Que dirais-tu de conduire la vieille limousine rouillée, là où je t'ai prise?En réalité, l'Épouvantail mentait. Il savait exactement l'effet qu'il faisait chez la femme brisée par un amour distant et surtout, il était au courant que le véhicule de luxe avait encore quelques kilomètres en banque. Monter l'adrénaline de Harley, c'était l'ingrédient secret pour activer son impulsivité. La femme, prise de court, accepta tout de même. Intriguée, elle courut vers le véhicule et prit la place conducteur, tandis que le gardien, un sourire sournois aux lèvres, s'assit à ses côtés. La clé de la limousine se trouvait toujours dans le contact. La main tremblante, en regardant l'homme de paille, Harley fit tourner la clé et ne put s'empêcher de crier de joie lorsqu'elle entendit le moteur ronronner. - Quel âge a cette bagnole?, demanda-t-elle.- Aucune idée, elle est apparue du jour au lendemain, quelque temps après mon arrivée ici.- Attends... donc, tu ne proviens pas de cette dimension? Tu es arrivé d'ailleurs, comme moi?L'Épouvantail déglutit. Il n'aimait pas où se dirigeait la conversation. Il devait changer de sujet et rapidement.- Que dis-tu de faire un petit tour de machine avant de parler de choses plus... sérieuses?Afin de bien mettre Harley dans une situation compliquée, l'homme de paille glissa sa main-bâton contre la cuisse de l'arlequin. Elle avala difficilement, comme il l'avait fait il y a quelques secondes. L'image du Joker dans sa tête commençait lentement à s'estomper. - Oui, il faudra discuter très sérieusement. Rappelle-toi que tu m'as tout de même emmené au bureau du Vampire, dans je ne sais quel but d'ailleurs, dit Harley en reprenant ses esprits, tentant de conserver ce qui lui restait de morale et de scrupules.Le gardien de la dimension se rembrunit. Il allait falloir mettre les bouchées doubles pour amadouer cette chère Harley. D'un coup sec, elle appuya sur l'accélérateur, produisant un vacarme assourdissant.- YAAAAHHHHOOOOOUUUHHH!, cria Harley, aux anges.En tournant le volant, elle fit tourner la limousine sur elle-même, pendant que l'Épouvantail s'accrochait de toutes ses forces pour ne pas sortir par le pare-brises. La femme fit le tour complet du cimetière, écrasant au passage les restes de la tombe du vagabond. - Essaie de te stationner ici, dit soudainement le bras droit du Vampire, une idée derrière la tête.En se mordant la langue, Harley dériva avec la voiture pour arriver dans le coin de terre pointé par son compagnon. Fière d'avoir réussi sa manœuvre, elle tourna de nouveau la clé dans le contact, laissant le moteur refroidir.- Pourquoi voulais-tu que je m'arrête, je ne faisais que commencer!Sans avertissement, l'Épouvantail se pencha vers Harley, dans le but de l'embrasser.*****Harold Wilkins beuglait sa colère dans l'antre du Monstre des marais, lequel n'était toujours pas venu visiter le couple kidnappé.- Je pourrais vous arracher un bras par la seule force de mes dents! Je serais capable de vous réduire en nourriture pour chiens, testez-moi et vous ne serez pas déçu!Hannah, elle, restait silencieuse, persuadée que leur arrivée ici n'était pas fortuite, que le monstre voulait les rencontrer depuis quelque temps déjà. Cette prise d'otages avait sans doute un lien avec le regard qui l'avait tant marqué.- Et toi, tu ne t'insurges pas?, demanda Harold, surpris.- Chéri, pourquoi il nous a choisi parmi tous les autres qui vivent ici? Tu ne crois pas qu'il y a une raison particulière qui explique ce choix?Harold soupira en secouant la tête. Il ne croyait pas les dires de sa bien-aimée. Tout ça n'était qu'une mascarade éhontée.- Vous devriez écouter votre conjointe, M. Wilkins.Les deux lycanthropes sursautèrent. Le Monstre des marais venait de les rejoindre dans la pièce principale du repaire aux allures richissimes, avec ses colonnes en marbre et ses motifs géométriques au sol. La voix claire et distinguée du Monstre se différenciait grandement des cris gutturaux qu'il avait poussé pendant son combat contre le Cyclope. Sa taille était également choquante, passant d'une dizaine de mètres à la grandeur moyenne d'un homme.- Mais... que vous-est-il arrivé?, bégaya Hannah.- La Malédiction de Monsterland me laisse que peu de moments de répits, alors faisons vite, d'accord?La bête marécageuse prit une grande respiration.- Vous savez ce que c'est d'être des monstres n'est-ce pas?Le couple hocha la tête, intrigué par la suite du discours.- J'ai fait une grave erreur, il y a plusieurs années. En fait, nous avons fait une erreur, ce Chevalier et moi.Sans un mot, le monstre ouvrit un tiroir dissimulé dans le mur en appuyant dessus. La main écailleuse de la bête se glissa à l'intérieur et en sortit une longue épée au pommeau blanchâtre et à la poignée sertie de pierres précieuses de la même couleur. Il s'agissait de la légendaire épée de Platine.- Laissez-moi vous raconter une histoire que vous n'allez pas oublier.Le Monstre des marais déballa son sac et raconta le mythe du chevalier de Platine dans son intégralité. Il dut révéler qu'il était lui-même le monstre décrit dans l'histoire. Hannah et Harold se taisaient, ne comprenant pas le lien qu'avait la légende avec Monsterland.- On fait des choses stupides, quand on est des montres sans morale, sans scrupules. Lorsque j'ai plongé dans mon marais avec le Chevalier, je ne suis jamais revenu à la surface. J'ai simplement continué à nager et... tout est devenu noir. Et je me suis réveillé ici. Le Chevalier a disparu et l'épée m'a suivi. Elle ne m'abandonnera jamais.La bête se mit à sangloter. Le couple de loups-garous ne comprennaient toujours pas les enjeux de l'épée de Platine.- Vous... vous êtes maudit par l'épée?Le monstre essuya la morve qui coulait sur ses écailles.- Si on veut. Au temps des chevaliers, j'ai été choisi par... bon, croyez-moi si vous voulez ou pas, mais... ils se nomment les Créateurs des Dimensions. Et ils contrôlent toutes les dimensions parallèles à la vôtre, sur Terre.Le couple se regarda, incrédule. Ce nom sortait tout droit d'un film de science-fiction de série B.- Les Créateurs m'ont donné la tâche de conserver l'épée, car elle fait partie de la trinité des Artéfacts des Temps Anciens.Harold et Hannah étaient désormais dépassés. Pourquoi cette horreur qui avait tenté de le tuer quelques instants auparavant leur révélait désormais ces secrets cosmologiques qui remettaient en question toute leur conception de la vie et de ses mécanismes? Le Monstre passa ses doigts palmés sur l'un des murs de marbre de son antre. La pierre luxueuse se creusa, laissant apparaître trois cercles reliés par une bande dorée. Hannah attrapa la main de son bien-aimé, effrayée. La bête appuya sur un premier cercle, où une gravure de l'épée apparut.- Le premier Artéfact est l'épée de Platine, au Moyen ge.Le deuxième rond fut agrémenté d'une gravure d'un objet bien connu par Harold, qui plongea sa main dans sa veste en tweed.- La boîte à musique! Je l'ai justement avec m- Oh non. Elle n'est plus là. Comment-- Je mettrais ma main au feu que c'est la Sorcière qui vous l'a dérobée. Elle est sur la trace des Artéfacts depuis que les Créateurs lui ont tout dit sur la boîte à musique. Elle en est la Gardienne, tout comme je le suis avec l'épée. J'espère que vous ne lui avez pas trop révélé vos secrets.Le couple déglutit.- Nous vivons chez elle.- Eh bien, quand je vous laisserai partir, quittez la maison le plus rapidement possible. Nous sommes dans de beaux draps, soupira le Monstre des marais.Harold et Hannah ne comprenaient toujours pas ce que signifiait la longue litanie de la bête, mais, intrigués, ils se taisaient. La troisième gravure apparut dans le dernier cercle. Il s'agissait d'une espèce de sceptre, composé d'un long bâton doré et d'une tête assez large en rubis.- Le troisième Artéfact, dont je ne connais pas la localisation, c'est la relique de Valachie, originalement gardée par la famille Drăculea, en Transylvanie. La bande dorée reliant les gravures des artéfacts se mit à briller.- Les Créateurs des Dimensions n'osent même pas penser à ce qu'il se passerait si ces trois Artéfacts se réunissent entre les mains d'une seule et même personne. Comme l'épée de Platine se trouve ici, ainsi que la boîte à musique... je n'ose même pas imaginer ce qu'il arriverait si l'on découvre que la relique de Valachie est dans les parages.Dans la tête d'Hannah, les pièces du casse-tête se mettaient en place. Le Monstre les mandatait de retrouver le dernier Artéfact des Temps Anciens avant que la Sorcière ne mette la main dessus.- Et alors? Qu'est-ce qu'on vient faire ici?, demanda Harold, moins perspicace que sa bien-aimée.- J'ai toutes les raisons de croire que la Sorcière n'apprécie pas son séjour à Monsterland et qu'elle fera tout pour sortir de cet enfer. Si elle a la boîte à musique... elle pourrait facilement détruire cet endroit avec l'épée et le sceptre. Je retrouverais bien le dernier objet avec vous, mais- AAARRRGGHH!Le Monstre des Marais se plia sous la douleur. Son bras se mettait à prendre du volume de façon exponentielle. Ses yeux prennaient la teinte rouge qui avait frappé l'esprit d'Hannah dans les bois. Ses écailles se redressaient et bientôt, son corps entier ne pourrait entrer dans le repaire.- FUYEZ! FUYEZ PENDANT QU'IL EST ENCORE TEMPS!Avec sa main gigantesque, mais tremblante, la bête ouvrit un passage secret dans le mur opposé aux gravures des Artéfacts. C'était un escalier menant à la surface, pile à l'endroit où le Squelette avait écouté l'Alien et la Gorgone en catimini. Les cris de douleur du monstre reprennaient de plus en plus leur sonorité gutturale et violente. Par chance, Harold et Hannah montèrent les marches quatre à quatre et s'échappèrent du repaire au moment où le marbre explosait en mille morceaux. Arrivés à la surface, le couple essoufflé regarda le passage se refermer, impressionné par l'ingéniosité du Monstre à cacher son identité de Gardien de l'épée.- Hannah, je... je ne crois pas avoir compris tout ce qui s'est passé.- Moi non plus, chéri. Tout ce que nous savons, c'est que la Sorcière est maintenant notre ennemie. Cela dit, tu ne trouves pas ça étrange que le maire de cette ville soit un Vampire, et que la relique provienne de Transylvanie?Harold écarquilla les yeux.- Mais oui! Cela doit expliquer pourquoi il n'aime pas avoir des intrus par ici, on le dérange dans ses recherches! Hannah réfléchit quelques instants et fit signe à Harold de la suivre.- Nous aurons besoin d'aide pour découvrir la vérité. De beaucoup d'aide.

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 22, 2022 ⏰

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