Harold Wilkins et Hannah Brooks étaient affreusement silencieux depuis leurs aventures. Bien que le Cyclope et le Fantôme avaient subitement quitté Monsterland sans avertissement, les deux monstres restaient dans les esprits du couple de loups-garous. Depuis son retour à la chaumière de la Sorcière, Hannah s'inquiétait pour l'Homme-insecte, qu'elle avait sauvé du gourdin du cyclope. Ce fut Harley qui lui donna l'idée de lui rendre visite.- Je suis certaine qu'il aimerait bien te voir!- Mais où est-ce que je pourrais le trouver? Il y a des millions de chaumières ici, se plaignit Hannah.- Il faut juste que tu penses comme un cafard. Où irais-tu si tu étais un gros cafard dégoû-- Enfin, Harley! C'est un être vivant respectable! En tout cas, il m'en donne l'impression.Hannah réfléchit quelques instants avant de quitter la chaumière. Elle avait l'endroit parfait en tête. Harley resta assise à la table de la cuisine de la Sorcière. Cette dernière était partie faire des emplettes non loin de là. Derrière l'arlequin, Harold triturait sa veste en tweed, tournant en boucle la dernière phrase du Savant fou dans sa tête : «Vous savez, les paires d'yeux ne manquent pas à Monsterland.» Que voulait-il dire? Avait-il lui-même vu les méfaits qu'il avait fait avec le Fantôme, ou encore pire, est-ce que le Vampire l'avait vu faire le pitre? Dans ce cas, pourquoi n'avait-il pas déjà été capturé par le maire?- Harold? Harold! HAROLD!L'homme sursauta. Harley Quinn lui tendait la boîte à musique.- Garde-la en lieu sûr, veux-tu? Je... Je dois aller me vider la tête.- Bien sûr, répondit le lycanthrope d'une voix vide.Décidément, les intrus de Monsterland avaient de la difficulté à s'adapter psychologiquement à cet endroit hostile. La criminelle de Gotham City cachait tant bien que mal une immense dépendance affective pour son compagnon le Joker, qui manquait à l'appel depuis leur première capture par le maire. Voulant se ressourcer et ralentir sa misère, elle décida de revenir là où tout avait commencé : le cimetière. Harold était désormais seul dans la petite chaumière. Il se leva pour aller observer plus en détail les potions étalées sur les murs. Si seulement l'une d'elles pouvait répondre à toutes ses questions... Sans crier gare, la Sorcière entra dans sa maison, alors qu'Harold avait une fiole dans les mains. Sous le coup de la surprise, il échappa le tube de verre.- Bonjour à vous... trois? Oh, mon pauvre Harold, laisse-moi ramasser ça.La femme déposa ses sacs en toiles d'araignée remplis de vivres et attrapa un chiffon afin de nettoyer le verre cassé.- Je... Je suis dé-désolé, balbutia Harold.- Ne t'inquiète pas. Ce n'était qu'une simple potion de divulgation. Je ne l'ai pas utilisée sur le Squelette depuis un bon bout de temps.Le loup-garou ignora la remarque de la Sorcière et ne fit que poser la question qui le tracassait :- Comment les fantômes vivent-ils dans notre dimension? Enfin, dans cette dimension?La Sorcière se releva et agita le torchon à l'extérieur via une fenêtre ouverte. Le Savant fou, qui passait par là, reçut un fragment vitreux dans le visage. Ni la Sorcière ni Harold n'entendit son cri de douleur, car la femme ferma la fenêtre sur-le-champ.- Je crois avoir le livre parfait pour te guider, Harold, dit la magicienne, en faisant signe à l'homme de la suivre.Harold obtempéra pendant que la femme bougeait le sofa. Sous les yeux étonnés du lycanthrope, elle révéla une trappe secrète, qu'elle ouvrit, laissant voir une grande échelle et un sol en pierre.- Après toi, Harold.L'homme, sans dire le moindre mot, descendit l'échelle. Il lâcha un cri de surprise lorsqu'il vit le repaire secret de la Sorcière. On y trouvait quatre fois plus de fioles que dans la chaumière, en plus de nombreux ingrédients divers : écailles, os, fragments de métaux, haleines de monstres embouteillées... Au centre de la pièce secrète, on trouvait un grand chaudron en fonte, où bouillonnait un liquide qui changeait fréquemment de couleur. Pour finir, dans le fond du repaire trônait la bibliothèque de la Sorcière. Un livre en particulier sortait de la masse : un immense grimoire à la reliure usée.- Plutôt impressionnant, n'est-ce pas?, commenta la Sorcière.- Oui, oui, tout à fait, dit Harold, toujours de sa voix vide.La femme s'empara du grimoire vieilli et souffla dessus pour en retirer une fine couche de poussière. Sur sa couverture, on pouvait lire le titre suivant : Monstres, Créatures et Mythes reliés à la Magie noire. L'énorme bouquin était signé par Wendy Quincey. La Sorcière déposa le volume sur une table de travail, aux côtés du chaudron en fonte. Harold lut la couverture, eut un frisson, puis sa langue se délia :- Quincey, c'est une de vos consoeurs?- On peut dire. Il n'existe qu'un seul exemplaire de ce grimoire, donc je compte sur vous pour en prendre soin.Harold acquiesça, puis la nécromancienne expliqua le fonctionnement du livre :- La première section porte sur différentes apparitions de créatures étudiées par Wendy. Vous pouvez la lire si vous en avez envie, mais je crois que la seconde partie devrait vous intéresser davantage.Alors qu'elle parlait, sa main gauche se mouvait en direction de la veste de tweed d'Harold.- Ici, vous trouverez des descriptions complètes et très intéressantes sur chaque monstre présent à Monsterland. Vous trouverez même une partie de leurs origines.Le main de la Sorcière s'arrêta sur la poche de la veste du lycanthrope. Ce dernier, omnibulé par le grimoire, ne se rendit pas compte que la femme lui volait un précieux artéfact.- Pour ce qui est de la suite, on vous parle des propriétés de certains ingrédients magiques produits par les monstres. Crocs, ectoplasme, yeux, c'est la section parfaite pour tout apprenti sorcier.Harold se tourna vers la femme qui s'empressa de cacher la boîte à musique dans l'une des nombreuses poches de sa jupe. - Merci, madame. Je... Je risque de passer un long moment ici.- Prenez tout le temps du monde, monsieur Wilkins. Tout le temps du monde.Le loup-garou n'attendit pas avant de se plonger dans sa lecture. La Sorcière en profita pour sortir du repaire en ricanant.- Quel naïf, se dit-elle.*****À la Taverne des Cornes et du Crime, les affaires roulaient sur l'or. Des lumières stroboscopiques multicolores éclairaient en permanence le bar, dont les habitués étaient des revenants de la lande charbonnée. Le Joker avait méticuleusement choisi les musiques d'ambiance. Celle qui résonnait dans le bâtiment à cet instant était Hey Pachuco! de Royal Crown Revue.Summer of '43The man's gunnin' for meBlue and white mean war tonightSay damn my prideAnd all the other cats livin' down eastsideOr maybe just my brim's too wide- J'adore cette chanson, commenta la Gorgone en buvant une gorgée de son mojito.Comme le Démon ne voulant pas laisser trop de traces en jetant des choses par les fenêtres, il avait utilisé la plupart des flacons, cylindres gradués et erlenmeyers du Savant fou pour en faire des verres exotiques.- Ça fait effectivement changement de la mairie. Je ne sais pas pourquoi le maire veut à tout prix exterminer ce clown et ses acolytes. Regarde cet endroit!, s'exclama l'Alien dans une aisance qui rappelait Glock.Au comptoir principal, les revenants s'enfilaient plusieurs whiskys contenus dans des éprouvettes sous le grand sourire du Joker. Le duo, quant à lui, était attablé dans le fond de la taverne pour éviter à tout prix d'être vu par un sbire du Vampire, ou pire, le Vampire lui-même. La poussière dans laquelle le Démon avait atterri s'était transformée en un parquet reluisant de propreté, tandis que la plupart des fenêtres avaient été voilées pour ne laisser qu'un minimum de lumière dans le bâtiment nocturne.- Alors, serpentine, ta découverte? Je veux tout savoir.L'Alien regardait sa partenaire de révolte dans les yeux et termina son brandy d'un seul coup.- Depuis quand bois-tu autant, monsieur le «secrétaire»?, demanda la Gorgone en ricanant.- Je me donne à coeur joie aujourd'hui. Le maire m'a demandé d'aller enquêter dans le coin de la Sorcière. Il l'a pas mal dans la mire depuis un bout de temps. Comme il ne peut pas sortir en plein jour, je passe mes journées ici. Ça m'étonne que le clown ne m'ait pas encore dénoncé.- Un criminel ne va pas en délater un autre, c'est évident. Surtout contre un ennemi commun, répliqua le monstre mythologique en claquant des doigts pour faire remplir son mojito.Le Démon arriva rapidement à la table pour verser la concoction alcoolisée dans le flacon de la Gorgone.- Vous êtes ravissante, en passant, ma chère activiste, dit le co-tenancier de la taverne en s'éloignant, un sourire présentant ses cinquante dents.Le duo de révoltés se regarda et pouffa.- Tu sais, les cornes et les serpents, ça va quand même bien ensemble, dit l'Alien en déposant son erlenmeyer sur la table. La Gorgone rigola, puis vida enfin son sac.- Bon, voici ce qui s'est passé l'autre jour. Pendant que tu faisais ton travail de bureaucrate, le Cyclope est débarqué sur la place publique.- Encore?, se plaignit le traître du Vampire. La dernière fois, il a fallu reconstruire la mairie au grand complet.- Ce n'est même pas ma découverte. Une des nouveaux venus arrive sur les lieux, comme ça, sans prévenir. C'est une ancienne policière, je crois, mais ce n'est pas important. Donc, elle arrive, mais pas sous une forme humaine. Mon gars, c'est un... ou une, je ne sais plus... loup-garou!La mâchoire de l'Alien tomba.- Mais pourquoi le maire veut-il les chasser s'ils sont comme nous?- Tu te débrouilleras avec lui. Bref, elle a sauvé l'Homme-insecte du Cyclope.- Un bon type, celui-là, commenta le secrétaire.- Après, elle a repris sa forme humaine et a su CONTRÔLER le Cyclope. Elle l'a convaincu de quitter la place publique, tu te rends compte!L'Alien n'en croyait pas ses oreilles. Dire que pendant tout ce temps, il était à la mairie, à quelques pas de là, et il n'avait absolument rien entendu.- C'est une histoire très impressionnante, serpentine, mais que veux-tu qu'on en fasse?- Il va vraiment falloir que je t'explique tout, je vois. L'alcool fait son effet, le taquina la GorgoneL'Alien ricana.- Écoute, si nous arrivons à former une alliance avec cette lieutenante, Hannah, je crois, imagine le moyen de pression que nous pourrions avoir contre le maire. Il serait terrifié que sa ville soit détruite du jour au lendemain par cette créature géante! Hannah pourrait contrôler ses allées et venues sans problèmes.Les grands yeux noirs de l'extra-terrestre s'agrandirent. L'idée de sa partenaire était brillante.- Il ne reste plus qu'à trouver comment aborder Hannah sans que le maire s'en rende compte.- Nous réfléchirons à ça dans quelques temps. Pour le moment, je propose que nous nous déchaînions sur la piste de danse.La Gorgone tendit sa main à l'Alien tandis que le duo débarquait sur la piste à la fin de la chanson.Well, I'd like to be swingin'Dancin' and swingin'Just havin' a timeFree to do whateverNow more than everI've gotta stick with that gang of mineHey, Pachuco!Lors de la note finale, l'Alien fit le grand écart, sous les applaudissements des revenants.
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Monsterland
General FictionAprès le vol de la fameuse boîte à musique, le Joker et Harley Quinn se retrouvent coincés à Monsterland, une nouvelle dimension parallèle à Nemesisland, accompagnés de Hannah Brooks et de Harold Wilkins, un couple de loups-garous de Salem. Rapideme...