Quelques heures avant que la zizanie s'installe sur la place publique, Hannah Brooks était revenue à la chaumière de la Sorcière, peu surprise de la retrouver vide. La femme et son assistant allait souvent faire des emplettes elle ne savait où. Elle avait pris son temps pour revenir de la berge où se trouvait son nouvel ami, l'Homme-Insecte. Le quatuor d'intrus, maintenant plus brisé que jamais, n'avait passé qu'un temps très limité à Monsterland et l'ancienne lieutenante de police avait lentement commencé à s'attacher à cette ville, certes froide et hostile, mais ayant un certain cachet mystique, rappelant les cités présentés dans les vieux livres de fantaisie et de merveilleux. Malheureusement, cette vision enchanteresse de la dimension était entachée par le régime tyrannique du maire, qui ne supportait point les modifications qu'on apportait à son œuvre de vie. Hannah ferma la porte derrière elle et soupira un bon coup. Elle était persuadée que les quelques mots qu'elle avait partagés avec la cafard anthropomorphique allait l'aider à former l'union dont il avait toujours rêvé avec Aurora. Il ne restait plus qu'à attendre. Voyant qu'elle était seule, elle décida de se coucher sur le sofa afin de faire une sieste. Afin d'être plus confortable, elle transforma ses mains et ses pieds humains en membres de loups et une partie de son visage en un museau effilé. Elle n'avait même pas la tête sur un coussin qu'elle se redressa d'un coup, en position assise, tel un chien. Elle ne savait pas pourquoi, mais le sofa n'avait pas l'air à sa place. La lycanthrope sauta en bas du divan et tourna autour. Elle émit un petit cri en voyant une trappe ouverte. Dans le repaire secret de la Sorcière, Harold Wilkins leva la tête. Quelqu'un était entré dans la chaumière. Il referma prestement le grimoire de Wendy Quincey et grimpa les barreaux de l'échelle. Lorsque sa tête apparut à l'embrasure de la trappe, Hannah sursauta, reprenant involontairement sa forme humaine.
- Bon Dieu, Hannah chérie, tu es si nerveuse!- Eh bien, figure-toi que je ne m'attendais pas à te voir sortir d'une pièce secrète. Mon coeur bat si vite.Harold sortit du repaire, referma la trappe et replaça la sofa à sa place originelle. Il tendit la main à sa bien-aimée pour qu'elle se relève.- C'est la Sorcière qui m'a montré ce petit... havre de paix, si on peut dire. Il y a des monstres très particuliers ici, Hannah, et... j'en ai croisé un il y a de cela quelques jours et je dois dire qu'il reste dans ma tête. Et c'est comme ça que j'ai accès à cette espèce de grimoire, qui ne m'a pas expliqué grand-chose, maintenant que j'y pense.La femme posa une main aimante sur la joue de son amoureux.- Tu sembles si distrait. J'ai l'impression que cela fait des millénaires que nous n'avons pas été seuls tous les deux. Dis, ça te dirait, un petit rendez-vous à l'impromptu?Harold sourit. Hannah savait parfaitement comment lui remonter le moral.- Oui, tout à fait. Je crois connaître l'endroit parfait. As-tu visité les bois en mon absence?L'ex-lieutenante se figea en se relevant. L'œil du Monstre des marais lui revint subitement à l'esprit.- O... Oui, j'y ai passé quelques instants.- Eh bien, te voilà aussi évasive et distante que moi. Allez, raconte-moi, Hannah.Alors que la femme se préparait sous le regard langoureux de son bien-aimé, elle raconta sa rencontre fortuite avec le monstre marécageux, ainsi que celle avec le Cyclope.*****Au moment de l'exécution au bûcher, Jack McCrory, alias l'Homme-Insecte, se tordait les mains, assis sur la bûche où s'était assise sa salvatrice quelques heures plus tôt. À n'importe quel moment maintenant, Aurora, la Femme-Invisible allait se présenter. Le cafard anthropomorphique avait décidé d'appliquer les conseils de Brooks et d'avouer ce qu'il ressentait à Aurora. Et si ce n'était pas réciproque... Il ne voulait pas penser à une telle éventualité. Toute sa vie, sa carence en amour l'avait torturé, troublé, accablé. Il fallait que cette relation fonctionne. Il voulait que l'étincelle qu'il ressentait si fortement en lui soit partagée. Plusieurs minutes s'écoulèrent, durant lesquelles Jack se levait périodiquement pour jeter un caillou dans l'eau. C'est lors de l'un de ses moments qu'il entendit un long cri, probablement produit par le maire :- AAAAAARRRRRRRGGGGGHHHH!L'Homme-Insecte, sursauta, échappant un galet de le cours d'eau. Sans aucun doute, quelque chose se passait pas loin de la mairie. Même si Aurora était terrifiée des foules, il connaissait sa curiosité des événements sortant du commun et insolites. Elle devait probablement s'attarder un peu, oui, cela devait être la raison pour laquelle elle n'était toujours pas à la berge. Le pauvre monstre tentait tant bien que mal de se convaincre, insécure comme jamais. Alors qu'il agrippait un nouveau rocher, la Femme-invisible apparut devant lui, plus complète que d'habitude. Le cafard recula de quelques pas, pris de court. Sa beauté le laissa sous le choc. Elle se mit à sourire en le voyant tituber de la sorte. Elle révéla ses dents blanches, parfaites, avec un léger espace entre ses dents d'avant, entourées de lèvres rougeâtres. À cause de sa condition, on ne voyait qu'une partie de son corps aux formes distinctes et arrondies de façon hypnotisante, alléchante. Aurora regardait son ami de ses yeux très particuliers, colorés, mais on était pas effrayé de s'y plonger sans jamais en revenir. - Bonsoir, Jack, dit-elle sobrement, d'une petite voix qui trahissait sa timidité chronique.- Salut. Que... Que se passe-t-il là-haut?- Deux malfrats au bûcher condamnés par le maire. Ils se sont échappés grâce au vagabond.- Le vagabond?, s'étonna l'Homme-Insecte. Je croyais qu'il était complètement légume.- Il s'est réveillé d'un coup, on dirait.La Femme-invisible raconta les péripéties de l'exécution, tandis que le monstre insectoïde buvait ses paroles, la regardant droit dans les yeux. Elle aurait pu lui parler de n'importe quelle insignifiance, il l'aurait admiré, fixant ses prunelles sombres. - Je te l'avoue, j'ai quitté un peu rapidement. J'étais... un peu trop curieuse à propos de ce que tu voulais me révéler.Aurora sentait les battements de son cœur s'accélérer. Elle ne pouvait plus se le cacher : elle ressentait des sentiments indéniables pour Jack. Elle espérait vivement qu'il allait avouer que cette folie qu'elle sentait virevolter dans son estomac était réciproque. Que cela la rendrait heureuse! Dans la tête de l'Homme-insecte, les pensées redoublèrent d'intensité. Il ne savait pas comment aborder le sujet, alors il décida de commencer par une évidence :- Tu vois comment la Lune est pleine ce soir?Aurora se retourna, surprise par cette déclaration. Sur le lac, on voyait la réflexion lumineuse de l'astre de la nuit. Comme Jack ne voyait plus son visage qui l'envoûtait tant, il put se concentrer un instant pour mettre bout à bout les paroles qu'il voulait énoncer. Il y eut un silence sur la berge. Voulant faire parler son compagnon, la Femme-invisible ajouta :- Les étoiles brillent de mille feux. Tiens, je crois même en voir certaines qui filent à travers le ciel.Le silence revint. La tension était palpable entre les deux monstres. D'un coup, alors qu'une étoile filante passait dans la voûte céleste, l'Homme-insecte se leva, déterminé, en abandonnant tout projet de déclarer son amour pour Aurora avec des mots. La femme entendit les galets grincer sous les pas de son ami et se retrouva nez-à-nez avec lui. Une fraction de seconde passa avant que la tension n'éclate en morceaux. Les lèvres de Jack se posèrent langoureusement sur celles d'Aurora. La Femme-invisible accepta ce baiser avec une envie démesurée. Elle mit ses bras autour de son cou, alors qu'il l'attrapa par la taille, devenue visible sous le coup des émotions. Le baiser s'intensifia et il ne suffit que de quelques secondes avant que le nouveau couple s'écrase au sol, contrôlés par leurs sentiments refoulés depuis trop longtemps. Au loin, dans la lande charbonnée, redevenue vide et sans vie, le Savant fou entrait dans la Taverne des Cornes et du Crime désaffectée. Il portait une petite radio portative à la main, la seule chose qui lui tenait compagnie dans cette dimension. En voyant son laboratoire ainsi ravagé, l'homme se mit à pleurer. Alors que le couple ne devenait qu'une seule et même masse d'affection, une chanson douce-amère se mit à jouer à la radio :At lastMy love has come alongMy lonely days are overAnd life is like a song*****At lastThe skies above are blueMy heart was wrapped up in cloverThe night I looked at youHarold menait sa bien-aimée par la main dans la forêt, la convaincant de vaincre ses peurs avec lui.- De quoi joindre l'utile... à l'agréable, lui avait-il dit, en posant un baiser sur sa joue.Hannah tremblait de nervosité. Dans sa tête, elle ne voyait que l'œil terrifiant du Monstre des marais. Ayant au pied une paire d'escarpins trouvée dans un placard pêle-mêle de la Sorcière, l'ex-lieutenante de police manquait d'équilibre. À chaque fois qu'elle glissait, elle sentait la main attentionnée de son bien-aimé la retenir. Seul lui pouvait l'amener à retourner dans cette forêt aux allures paradisiaques, mais abritant un sinistre secret. Dans le lac, on entendait toujours la respiration lente du monstre aquatique. À ce bruit, la lycanthrope vacilla plus que d'habitude et fut sur le point de décamper. Harold la rattrapa et la rassura en murmurant :- Il dort, ma chérie. Nous sommes en sécurité.Hannah eut un petit sourire. Dans le clair de la lune, les deux amoureux se regardèrent, posèrent leurs lèvres les unes contre les autres tout en reprenant partiellement leur forme de loups-garous. Comme Jack et Aurora, ils se redécouvrirent et apprécièrent grandement leur moment intime. Cependant, bien que tout cet amour apporta une certaine quiétude à Monsterlane après l'exécution ratée, tout n'était pas rose pour autant. Un monstre en particulier ressentait toujours une colère intarissable, une rage qui avait été maîtrisée sur le coup, mais qui n'attendait plus qu'à sortir et se déchaîner sur le premier venu. Cette émotion brute prenait source dans nul autre que le Cyclope, tapi dans sa caverne, la main solidement enroulée autour du manche de son gourdin. La grotte du monstre mythologique se situait à quelques mètres du bois, à trois pas de géant du lac de la créature marécageuse. Déterminé à prendre sa revanche sur celle qui l'avait freiné dans son élan de destruction, la chose à l'œil unique se mit en marche. Pendant ce temps, Hannah et Harold ne se doutaient de rien, couchés sur le sol, emmitouflés dans leurs bras qui se recouvraient parfois de fourrure de loup. Le Monstre des marais, par contre, sentait que quelque chose se déplaçait vers lui. La respiration de son lent sommeil se transforma en une sorte d'halètement. Hannah releva la tête à ce changement sonore presque imperceptible. Harold, encore dans un nuage amoureux, sourit à sa bien-aimée :- Mais voyons, chérie, reviens à m-- CHUT!La respiration du monstre s'accélérait. Le Cyclope arriva au lac avec un pas lourd. À ce moment, il n'y avait plus de doute pour Harold : quelque chose se passait à l'étendue d'eau de la forêt. Les lycanthropes prirent leurs formes animales avant de prendre une décision commune : fuir ou courir vers le danger?- Reste ici, Hannah. Je vais aller voir si nous devrions porter assistance.Avant même que la femme-loup eut dit quoi que ce soit, Harold était déjà loin. Avec une vitesse hors du commun, Wilkins arriva au lac où il vit une scène troublante. Le Cyclope, armé de son gourdin, se battait violemment contre le monstre du marécage. Ce dernier répliquait en le frappant de ses poings, hurlant et faisant jaillir ses branchies. Très vite, il vit Harold qui tenta tant bien que mal de se cacher derrière un arbre. Le monstre mythologique, avec son intelligence limitée, ne se rendit compte de rien. En colère, rien ne pouvait l'arrêter. Tuer ce monstre était la première étape pour retrouver la femme qui le maîtrisait. - TOI! VIENS ICI!, cria le Monstre des marais, en allongeant son immense bras recouvert d'écailles vers Harold.Il attrapa le loup-garou sans aucune difficulté avant de le plonger dans le lac.- NON! NOOONNN! HAAAANNNNAAAHHHH!, hurla Harold avant de s'enfoncer dans l'eau, aux pieds du monstre.Hannah, alertée comme jamais, courut encore plus vite que son chéri pour se rendre au lac. Le Cyclope avait désormais mis les pieds dans le lac et continuait de frapper la créature aquatique, qui sombrait peu à peu dans un état comateux. - AAARRRRGGGGHHHH!, éructa le monstre à l'œil unique en donnant un coup latéral sur le crâne de son ennemi.L'ennemi en question eut le tournis, sous les yeux horrifiés d'Hannah qui tremblait de tout son corps. Le Cyclope en profita pour s'enfoncer encore plus dans l'eau. Le monstre d'eau ne se rendit compte de rien, la tête baissée. En la relevant, il croisa une seconde fois le regard avec une Hannah Brooks terrifiée de revoir ces mêmes yeux rougeâtres. Puis, il se passa un événement inouï. Alors qu'il croyait être à bout de forces, la bête aquatique se retourna et recula son bras tout en formant un poing avec ses doigts palmés. Le géant mythologique regardait la scène, quelque peu amusé, avant de comprendre ce qui allait arriver.- HAHAHAHA...euh...Avec un coup puissant, le géant fut projeté hors du lac à une vitesse dépassant celle d'Hannah et d'Harold réunis. La femme restait pétrifiée. Est-ce que cette bête venait de la protéger?- T... Toi. Viens avec moi.Il allongea son bras comme il l'avait fait avec Harold et saisit la femme, qui, envoûtée, ne dit point un mot. Les deux monstres sombrèrent dans le lac. À la surface de l'eau, il ne restait que des petites bulles, qui disparurent avec le temps. À des kilomètres de là, le Cyclope, complètement assommé, ronflait et oubliait la bataille qu'il venait de livrer.
VOUS LISEZ
Monsterland
General FictionAprès le vol de la fameuse boîte à musique, le Joker et Harley Quinn se retrouvent coincés à Monsterland, une nouvelle dimension parallèle à Nemesisland, accompagnés de Hannah Brooks et de Harold Wilkins, un couple de loups-garous de Salem. Rapideme...