La spéculation massive à la bourse américaine durant les années 1920 eut raison de l'économie du pays lors du fameux jeudi noir de Wall Street, le 24 octobre 1929. Ce jour de panique et de chaos ne fut que le début d'une longue crise qui s'étendra partout en Occident, qu'on nommera la Grande Dépression. Les années 1930 sont donc marquées par une remise en question du système politico-économique en place. Face à ce grand échec du capitalisme, les idées communistes et socialistes prennent de plus en plus d'ampleur. Au niveau de monsieur et madame Tout-le-Monde, c'est la prohibition qui enrage les citoyens. L'interdiction de vendre et d'importer de l'alcool réduit à sec les réserves d'alcool des citoyens américains. Devant ce problème grandissant, on remarque la multiplication des mafias et des cartels ayant pour fonction de distribuer de l'alcool illégalement. Dans le contexte socio-économique de l'époque, ces activités criminelles ont fait grand bruit dans les médias naissants, changeant des nouvelles économiques déprimantes. Toutefois, toutes ces organisations ne travaillaient pas ensemble dans l'harmonie. La compétitivité et le désir puissant du monopole guidaient les décisions des grands leaders du crime organisé aux États-Unis. À Chicago, deux géants rivaux contrôlaient le trafic d'alcool dans la ville : Al Capone et Bugs Moran. En 1931, le Balafré tombe en disgrâce, enfermé derrière les barreaux. C'est l'avènement de nouveaux gangs composés de mécréants n'ayant pas réussi à s'infiltrer dans les rangs de Capone ou de Moran. Parmi ces mafieux se trouve Rodney Scalise, tueur à gages sans scrupules enchaînant les cibles et les employeurs. Dès 1932, il rejoint le gang de Vito Luciano, petit mafieux ayant longtemps été sous la gouverne de Capone. C'est un période de prospérité pour Scalise, qui voit ses missions s'empiler avec l'activité criminelle grandissante dans la ville «sans foi ni loi». Par contre, comme dans tout milieu professionnel, légal ou non, on commence au bas de l'échelle. Le tueur à gages a donc commencé sa carrière dans le gang Luciano par de petits contrats visant de simples pions du gang rival, celui de Franck Ambrosino. Une fois qu'il eut accompli quelques-uns de ces petits méfaits, Scalise fut reconnu pour sa grande discrétion et la rapidité avec laquelle il complétait ses tâches de «nettoyage». On lui donna rapidement un surnom, comme il est coutume de le faire dans le crime organisé : Rodney «Quick Devil» Scalise. Sa réputation commence même à attirer l'attention des autorités, mais puisque le mafieux ne laisse pratiquement aucune trace derrière lui, les forces policières de Chicago n'arrivaient pas à lui mettre la main au collet. Le Démon Rapide était donc sur une lancée impressionnante au sein de l'organisation Luciano, mais, comme toute chose, un déclin est inévitable. La descente aux enfers de Scalise commença le jour où il fut convoqué à rencontrer le grand patron du gang, Vito Luciano, en personne, dans un restaurant du coin. Il avait reçu l'information par un collègue, qui lui-même l'avait reçu d'un homme mieux placé que lui dans l'organisation et ainsi de suite. Nerveux, le tueur à gages s'y était rendu à pieds, trop fébrile pour conduire sa voiture toute neuve. Les mains tremblantes, il ouvrit la porte de l'établissement cinq étoiles. De l'entrée, il voyait déjà le chef du gang, attablé devant un homard gargantuesque. Scalise ricana un peu en remarquant que le côté mégalomane de son supérieur se trahissait même dans ses repas. Le maître d'hôtel accueillit Rodney.- Bien le bonjour, monsieur. Vous serez accompagnés?Les sourcils froncés, le mafieux fit un signe de tête vers Luciano, qui se mettait à dévorer le fruit de mer rougeâtre. L'employé du restaurant déglutit, impuissant devant la volonté du criminel officieux.- Par ici, mon cher.Scalise suivit l'homme et prit place devant Luciano, qui leva la tête. En voyant le tueur à gages, il eut un sourire en coin.- Est-ce que monsieur désire boire quelque-- Un verre de votre meilleur merlot pour mon compagnon, répondit brusquement le chef de mafia.- Je suis désolé, mais la prohibition-- Je sais que je vous en avez dans vos caves. Vous le sortez ou c'est vous qui allez sortir de ce trou à rats.Le maître d'hôtel ne se fit pas prier, trop effrayé par les potentielles représailles. La demande du patron surprit Scalise, qui ne se pensait pas digne d'une telle attention.- Le «Quick Devil», huh? Ton nom commence à circuler dans les haut placés, tu sais.- V... Vraiment?, dit Rodney, incapable de retenir son bégaiment.- Tout à fait. Les éloges ne tarissent pas, mon ami.L'employé revint avec le vin et en versa une quantité généreuse dans la coupe en verre scintillante du Démon Rapide. Luciano le pria de quitter la table d'un mouvement sec de la main. L'homme s'en alla à pas précipités, cachant l'alcool sous son tablier.- Écoute, Scalise, reprit Vito. Je crois que tu en as marre d'enfiler les petits boulots, est-ce que je me trompe?Le tireur hocha la tête, sidéré par l'aura dominatrice de son patron.- Ça tombe bien. Mes lieutenants ont une idée qui leur trotte dans la tête depuis un moment déjà. On repousse le plan depuis plusieurs mois déjà. Ça nous prenait le gars parfait pour faire le travail. Quelqu'un en qui je pourrais avoir une confiance aveugle.Rodney Scalise, bien que touché, ne laissa rien paraître, conservant du mieux qu'il pouvait son attitude de dur à cuire. Vito Luciano se pencha vers son subalterne et susurra :- T'as déjà entendu parler du «Pic à Glace»?Le tueur ne put s'empêcher de laisser sortir un cri étouffé. Ce surnom était celui utilisé pour parler du rival de Luciano, Franck Ambrosino. On l'appelait ainsi car il aurait pris la tête du gang après avoir tué froidement le patron précédent avec un pic servant à l'escalade sur glace. Ce meurtre n'est cependant qu'une légende, Ambrosino ne voulant jamais donner le fin mot de l'histoire. Reconnu pour son silence et son regard glacial, l'homme est l'archétype même du gangster.- Donc... vous pensez le rayer de la carte, c'est ça?, dit Scalise, incrédule.- C'est exact. C'est à notre tour de prendre le contrôle du crime organisé ici. Si tu réussis ta mission, je risque bien de devenir le nouveau Capone.Rodney était désormais investi dans la mission. - Et comment on procède?, demanda-t-il.*****Une semaine plus tard, le petit mafieux décrocha un rôle clé dans l'une des missions les plus ambitieuses du gang Luciano. Armé d'un colt à la ceinture, caché par une longue redingote, Scalise se trouvait qu'à quelques mètres de sa cible. Ambrosino était en grande discussion avec un mouchard envoyé par Vito, qui devait s'occuper de la fuite de Scalise après le meurtre. L'espion, surnommé «Lucky Bastard», était un supposé propriétaire de bar clandestin dans les rues moins occupées de Chicago. Il était tombé «par hasard» sur Ambrosino. En fait, l'entrepôt dans lequel les deux criminels conversaient depuis un moment avait été identifié par Lucky quelques jours auparavant comme étant un lieu où le chef du gang rival allait souvent fumer quelques cigares en paix. Ainsi, pendant que le mouchard effectuait une distraction, Rodney était supposé tirer sur le chef en passant derrière lui, ni vu ni connu. Scalise sentait que ses genoux allaient bientôt lâcher, se tenant sur un pan de mur de l'immeuble en ruine situé devant l'entrepôt. Grâce à sa tenue sombre, il se fondait dans le décor du crépuscule. Lucky parlait depuis maintenant une bonne vingtaine de minutes. Le tueur à gages commençait à s'impatienter, la main prête à dégainer son arme à feu.- Le nom officiel, c'est le Small's Paradise, mais entre nous, on l'appelle le Nylon Club pour ne pas attirer l'attention des poulets, blablatait le Bâtard.Soudain, le moment tant attendu arriva. L'espion tapa sur sa cuisse à trois reprises, signifiant que Franck était assez investi dans ce que son interlocuteur lui disait pour faire un mouvement en toute sécurité. Le cœur battant, Scalise descendit du petit tas de briques avec douceur. Malgré qu'il ait tué de sang-froid plus d'une vingtaine de petits bandits, tuer le patron d'un gang n'est pas une mince tâche. Luciano avait, contre toute attente, une grande foi en lui. Il n'avait simplement pas le droit de rater son coup. Tout en se déplaçant, il entendait Lucky qui poursuivait son baratin.- Donc, voilà. Je veux vous offir de faire une alliance avec nous. Au Small's, ça coule à flots, je vous le dis.Rodney retira lentement le colt de sa ceinture. Le reste des évènements se déroula telle une tragédie grecque, une série de malchances débouchant en une arrivée marquée à Monsterland. À ce moment précis, le plan se déroulait à merveille. Le tueur avait Ambrosino en joue, lequel n'entendit pas les petits pas discrets du mafieux. Il était prêt à tirer. Sans crier gare, il appuya sur la gâchette, gonflé de l'orgueil d'avoir tué le chef de la mafia rivale. Un instant après avoir tiré le coup fatal, Scalise se rendit compte de l'immense erreur qu'il avait commise. Avec horreur, il vit «Lucky Bastard», une balle au front, s'écrouler sur le sol, son crâne se fracassant sur le béton froid de la nuit. Ambrosino, d'habitude si calme et ne laissant transparaître aucune émotion, ne put s'empêcher de sursauter. Quelqu'un l'avait trouvé, l'avait vu avec ce criminel. Il devait fuir. En se rendant à sa voiture aux jantes dorées et gardes-boue stylisés, il cherchait le coupable des yeux. Le Pic à glace finit par le voir, fuyant, le manteau grand ouvert, un fedora vissé sur la tête.- HEY! CONNARD! VIENS TE BATTRE COMME UN HOMME!, hurla Ambrosino.L'homme qui courait était nul autre que Rodney Scalise, se dirigeant vers la limousine, complètement paniqué. Malgré son expérience reconnue par son patron en personne, il avait réussi à manquer l'asssassinat du siècle pour le crime organisé. Alors qu'il tournait une ruelle, sortant du champ de vision de sa cible, cette dernière s'engouffra dans son véhicule, bien décidé à retrouver celui qui voulait s'en prendre à lui. Pendant ce temps, Scalise trouva la limousine, y entra si brusquement qu'il fit éclater une bouteille de gin sur le sol et claqua la portière blanche. Haletant, il ressortit le colt de sa poche. Comment avait-il pu atteindre Lucky au lieu de Franck? Il trouva sa réponse en examinant le canon du fusil. En lâchant un cri de surprise, il remarqua avec stupéfaction que quelqu'un avait limé le canon de l'arme, afin de faire dévier la balle qui allait en sortir. Quelqu'un avait définitivement saboté le plan de Luciano. Pourtant, c'était lui en personne qui lui avait donné le fus-- Oh, le salaud!, s'exclama Rodney en réalisant qu'il s'était fait avoir par Vito. Il veut m'éliminer! C'est pour ça qu'il était si mielleux au restaurant. Salopa-Le criminel n'eut pas le temps de terminer son insulte. Dans les rétroviseurs de la limousine, deux immenses phares l'aveuglaient, accompagnés d'un bruit de klaxon tonitruant. Scalise ravala sa salive : le Pic à glace en personne voulait sa peau. Ni une ni deux, il appuya sur l'accélérateur, laissant une trace de pneus sur le bitume. En quelques instants, il atteignit les 100 km/h, toujours suivi de près par Ambrosino. Haletant, couvert de sueur et ignorant toutes les règles de la sécurité routière, le tueur à gages continuait de rouler dans un quartier huppé de Chicago. Il tournait à chaque rue où il était possible de le faire, évitait de regarder dans les rétroviseurs de peur de croiser le regard de son ennemi et priait Dieu pour s'en sortir indemne. Les habitants du quartier ne tardèrent pas à se réveiller sous les sons forts et désagréables du crissement des pneus. La course poursuite digne des films de gangsters modernes se poursuivit pendant une bonne vingtaine de minutes, au bout de laquelle Ambrosino commençait à se lasser d'être berné par un médiocre bandit. Tenant le volant de la main droite, il sortit la tête et sa main gauche par la vitrine, brandissant un revolver. Il ralentit un peu, afin de donner l'impression qu'il déclarait forfait. Scalise, voyant les phares de la voiture s'éloigner, laissa s'échapper un soupir de soulagement, avant d'être encore une fois tenu en haleine lorsqu'il entendit trois coups de feu atteindre la carrosserie de la limousine. Du miroir intérieur, il vit les balles percer les portières et traverser la vitre des bouteilles d'alcool du mini-bar intérieur. La tête baissée pour éviter les éclats de verre, Rodney tourna à droite, frôlant désormais les 150 km/h. Franck le suivait toujours, plus près que jamais. Un sourire dément sur les lèvres, il alla donner un coup sur l'arrière de la limousine, faisant perdre le contrôle du véhicule à Scalise. - Merdre, merde, MERDE!, hurla Rodney, qui aurait sans doute préféré d'autres mots pour sa dernière phrase.- C'est bientôt la fin pour toi, petit con, dit Ambrosino entre ses dents.Sortant de nouveau son revolver, Franck tira le coup fatal dans les roues arrière de la limousine. Le caoutchouc explosa et Rodney ne put retenir le véhicule qui se mettait à rouler en zig-zag, dangereusement près d'une boutique d'antiquités. Ambrosino, considérant que le travail avait été fait, recula et partit au loin avec sa voiture. Pendant ce temps, Scalise fermait les yeux, acceptant que l'accident était inévitable. L'arrière de la limousine, dérapant sur la route, frappa de plein fouet la vitrine du magasin, expulsant Rodney dans le pare-brise, qui mourut sur le coup. Étendu sur un tapis de vitre, sous le son strident de l'alarme de sécurité qui se déclenchait, Scalise ne respirait plus. Deux taches de sang se formèrent à gauche et à droite de son front, causées par deux éclats de verre enfoncés dans son crâne.*****Il se réveilla quelques minutes plus tard, couché sur le capot de la limousine maintenant rouillée. Il ouvrit les yeux et prit de profondes respirations, complètement paniqué.- Bon matin, Rodney, dit la voix mielleuse du Vampire, qui rappelait au criminel la voix de Vito Luciano, le traître.Rodney se releva et regarda ses mains aux ongles jaunis, sa peau rougeâtre.- Que suis-je devenu?, hurla-t-il.- Découvre-le par toi-même, répliqua le maire de Monsterland, impassible derrière lui.D'un claquement de doigts, il fit apparaître un grand miroir devant le mafieux, qui recula de quelques pas en découvrant le reste de son apparence monstrueuse : des yeux aux pupilles félines, une cape aux allures de flammes et, surtout, deux cornes hideuses, au même endroit où les éclats de verre s'étaient enfoncés en lui.- Alors, qu'en penses-tu?, susurra l'homme éternel.Dans un cri déchirant, le Démon frappa le miroir de ses cornes, le brisant en mille morceaux, comme la limousine l'avait fait dans la vitrine de la boutique. Reculant de quelques pas, le Démon examina ce qu'il venait de faire. À travers les fragments de la surface réfléchissante, on voyait un homme brisé, empli de colère et de remords, et un autre qui jubilait de voir sa nouvelle création. Le «Quick Devil» venait de faire son arrivée à Monsterland.
VOUS LISEZ
Monsterland
General FictionAprès le vol de la fameuse boîte à musique, le Joker et Harley Quinn se retrouvent coincés à Monsterland, une nouvelle dimension parallèle à Nemesisland, accompagnés de Hannah Brooks et de Harold Wilkins, un couple de loups-garous de Salem. Rapideme...