Étant sous les ordres de la Sorcière depuis des temps immémoriaux, le Squelette passait très peu de temps seul. Ainsi, lorsqu'il avait l'occasion de vivre l'un de ces moments, il n'hésitait pas un instant à en profiter au maximum. C'est ce qu'il s'est passé le matin suivant l'exécution sabotée du maire. La Sorcière s'était levée d'une humeur massacrante. Elle fut d'abord confuse de voir qu'Harold et Hannah n'étaient pas dans le lit de la salle commune, puis de constater l'absence d'Harley qui s'allongeait, mais elle avait rapidement oublié ces deux faits en se souvenant de la piètre tentative de tyrannie du Vampire sur la place publique. Elle qui désirait tant de violence depuis des années voyait ses rêves brisés par un vulgaire vagabond avaleur de torches. Murmurant des insultes à voix basse, elle s'était servie un café en faisant valser ses doigts sur l'étagère à potions. C'est à ce moment que le Squelette était entré dans la chaumière, ayant dormi à l'extérieur vu la colère de sa maîtresse. Avec une prudence timide, il avait déclaré :- Bon mat-- LAISSE-MOI EN PAIX, TAS D'OS! Va faire une promenade avant que je te brise les rotules.Offensé par tant de violence verbale, le serviteur était sorti de la petite maison, non sans une pointe de joie malsaine de voir cette femme aux morales débridées être déçue par une carence de violence gratuite. C'est dans ce contexte particulier que le Squelette prit un grand bol d'air frais dans les rues de Monsterland, du moins, il profitait du gaz ambiant auquel il avait droit dans la dimension pourrie par l'ambition grandiloquente et gothique du maire. Ses pieds aux phalanges à découvert avait de la difficulté à s'adapter aux pierres inégales des rues, même s'il les avait empruntées quelques fois. Les bras formant un T avec le reste de sa structure osseuse, il tentait tant bien que mal de conserver son équilibre. Lorsqu'il passa devant la fontaine à l'eau noirâtre de la place de la mairie, le Squelette sentit qu'il s'était adpaté au sol rocailleux. À pas lents, il marchait vers les bois de la dimension, où plus aucun bruit ne se faisait entendre, pas même les ronflements du Monstre des Marais. Trouvant ce silence perturbant, il se dirigea vers la forêt, avant d'entendre un chuchotement lointain :- Quand tu lui as dit qu'il n'y avait plus d'allumettes, il est vraiment entré dans une rage folle, dis donc!Le serviteur reconnut la voix aiguë et perçante de la Gorgone. Comme elle parlait visiblement de l'incident impliquant l'Alien, elle devait forcément se trouver avec le secrétaire de la ville. Cela était bien étrange, car, publiquement, l'administration de Monsterland était contre les revendications de changement de la femme aux serpents. Piqué par une curiosité morbide, le Squelette rechercha l'origine de la conversation. En faisant un tour sur lui-même, il vit les deux monstres, cachés derrière le dernier bâtiment de l'allée avant la transition vers la forêt. Plongés dans leur discussion, les deux alliés clandestins ne remarquèrent pas l'homme d'os, qui se dépêcha de se cacher derrière une fougère. Étant d'une minceur incroyable, il se fondait dans le décor et était à une distance parfaite pour espionner les monstres à leur insu. Après tout, s'ils parlaient de l'exécution de la veille, cela pourrait intéresser sa maîtresse.- J'ai eu peur pour ma vie, je te l'avoue, continua l'Alien. Dès notre retour à la mairie, je me suis enfermé dans mes appartements. Il a cogné plusieurs fois à la porte, me hurlant de sortir. Il a fini par se calmer, comme toujours.- Pauvre toi...L'esclave de la Sorcière n'était pas surpris d'entendre cette anecdote. La tyrannie était de mise chez le Vampire.- Nous jouons à un jeu extrêmement dangereux, Serpentine. J'ai l'impression qu'il va découvrir notre alliance d'un jour à l'autre.- Nous ne pouvons abandonner, alors que nous sommes si prêts du but! Il faut retrouver Hannah Brooks le plus rapidement possible, c'est la clé vers notre liberté. Encore quelques jours, mon cher, et je te promets, tu n'auras plus jamais à travailler avec cet énergumène de Vampire.Le Squelette était sous le choc. L'Alien trahissait son patron avec sa plus grande ennemie! Voulant en savoir encore plus, il resta dans la fougère, dans une position de plus en plus inconfortable. L'Alien, la tête baissée, acceptait son sort.- Je suis prêt à faire ce sacrifice. Et tes visions dans toute cette histoire?Le tas d'os fut encore plus happé par la curiosité.- Oh, ça, c'est notre arme secrète! Il ne faudra l'utiliser qu'en cas d'extrême nécessité. Tu te rends compte du chantage qu'on pourrait faire avec ça?- À ta place, je serais plus méfiante. Qui sait ce que le Vampire pourrait te faire pour détenir de l'information aussi capitale?- Avec quoi voudrais-tu qu'il me torture? Il n'a plus d'allumettes!Les alliés pouffèrent. Dans la végétation environnante, le Squelette voulait en savoir plus sur ces visions incriminant le Vampire. Le sujet semblait diablement intéressant.- Plus sérieusement, ne t'inquiète pas pour moi. De ce qu'on en sait, ces visions pourraient simplement être un pur fruit de mon imagination. Ce plan de ramener volontairement tous ces gens à Monsterland me semble bien tiré par les cheveux, mais... Hé, il y a quelqu'un là-bas!La Gorgone s'était retournée vers l'entrée de la forêt, où le voyeur se trouvait. Paniqué, il roula sur sa colonne vertébrale, en s'enfonçant dans le bois. La femme aux serpents s'approchait dangeureusement, faisant glisser sa longue queue à écailles sur le sol sableux. L'Alien, sur ses talons, observait les lieux.- Serpentine, je crois que tu as imaginé cette personne.- Non, je pourrais le jurer sur la tête de mes ancêtres que j'ai vue une jambe dépasser du buisson là-bas! Je ne sais pas elle appartenait à qui, mais-- Ma chère, allons simplement trouver un nouvel endroit où discuter. Ce n'était qu'un mirage.L'Alien, mettant un bras sur les épaules de sa collègue, l'amenait tranquillement vers la lande charbonnée. Lorsqu'ils étaient assez éloignés, le Squelette laissa s'échapper un soupir de soulagement. Caché derrière un arbre, il avait réussi à flouer les deux monstres.- Je suis mince à ce point?, se dit-il en passant ses phalanges sur ses côtes.Il haussa les épaules, en cogitant sur ce qu'il venait d'entendre. Devrait-il tout dire à la Sorcière? Non. Probablement pas. Il fallait mieux la laisser chercher par elle-même. L'esclave reprit sa marche dans les rues de Monsterland, en ignorant qu'il venait de quitter le lieu de kidnapping d'Harold Wilkins et d'Hannah Brooks.****La Sorcière regardait le fond de sa tasse, vidée de son breuvage chaud. Elle ne regrettait pas un instant d'avoir envoyé promener son serviteur. Ce matin, elle désirait être seule. Un objet de forme cubique se trouvait dans la poche de sa jupe. Même si celui-ci était inanimé, elle avait l'impression qu'il produisait un battement de cœur, d'abord lent, puis de plus en plus rapide. Il s'agissait de la boîte à musique qu'elle avait facilement subtilisée à Harold. Un si grand pouvoir... contenu dans un minable petit carré. C'était un retour au bercail, en quelque sorte. La femme adepte de magie noire ressentait un regain d'énergie, plus intense que jamais. Fixant la tasse du regard et enfonçant ses ongles dans sa paume, elle réduisit le contenant en porcelaine en poussière. Se penchant au-dessus du comptoir, elle souffla sur les débris, créant un petit nuage blanchâtre. Satisfaite, elle alla déplacer le sofa de la pièce commune, ouvrit la trappe qui se trouvait sous le meuble et descendit l'échelle, le tout en ricanant fiévreusement. Le vieux grimoire de Quincey était toujours sur la table de travail, ouvert sur la section parlant des fantômes et de leurs propriétés magiques. D'un claquement de doigts, la nécromancienne ferma la couverture du volume. Bien installée devant la table de travail, elle sortit la boîte à musique de sa poche et la déposa devant elle. La femme, bien décidée à maîtriser les pouvoirs de l'objet, ouvrit le couvercle de l'artéfact. Une chansonnette morbide prit d'assaut l'ambiance tranquille de la pièce et la transforma en une atmosphère lourde de souvenirs. - Oh, ma belle, tu n'as pas changé depuis le jour où je t'ai conçue, murmura Wendy Quincey, alias la Sorcière.Une fumée violette s'échappa de l'objet alors que la musique troublante continuait de jouer. À travers les volutes mauves, la silhouette d'un couple commençait à se dessiner. L'homme et la femme s'enlaçaient et s'interpellaient.- Edward!- Sadie!- Dansons toute la nuit sans jamais s'arrêter...Wendy eut un regard noir vers son fils adoptif, Edward, qui avait révélé le secret de son immortalité à cette pintarde de Sadie. Le couple disparut soudainement, faisant place à une main gantée appartenant à nulle autre qu'Harley Quinn, volant la boîte pour la ramener à Monsterland.- Comme si elle allait rester bien longtemps avec ces mécréants. Elle est revenue à moi, comme elle le fera toujours, susurra Wendy.La sorcière caressa l'objet, duquel jaillit de nouvelles volutes de fumée. Celles-ci étaient rougeâtres. La musique s'intensifia. La femme recula de quelques pas. Dans le gaz coloré, Wendy se voyait, gravant dans le bois les motifs de sa création qui provoqua tant de malheur au Massachusetts et qui, indirectement, avait influencé les événements de l'affaire Wilkins et de Nemesisland. Avec un grand sourire, la sorcière fit apparaître des flammèches dans ses mains, alors que la boîte à musique se refermait d'elle-même. Wendy Quincey était de retour, plus assoiffée de violence que jamais. Monsterland n'avait qu'à bien se tenir.
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Monsterland
General FictionAprès le vol de la fameuse boîte à musique, le Joker et Harley Quinn se retrouvent coincés à Monsterland, une nouvelle dimension parallèle à Nemesisland, accompagnés de Hannah Brooks et de Harold Wilkins, un couple de loups-garous de Salem. Rapideme...