Harold avait étudié toutes les fissures du plafond. La nuit était tombée il y a déjà plusieurs heures sur Monsterland et pourtant, le sommeil ne lui venait pas. Il était étendu dans le lit où il s'était caché à son arrivée, aux côtés d'Hannah qui dormait très profondément. Harley Quinn ronflait comme un ours sur le sofa, les bras et les jambes en forme d'étoile. Comment pouvaient-elles dormir avec autant d'aise alors qu'ils venaient tout juste de rencontrer une sorcière et un squelette? Certes, le fait que les lycanthropes et les criminels déguisés en clown sont choses courantes chez lui était assez surprenant, mais pas assez pour croire en l'existence de monstres capables de contrôler la magie et ce qui l'entoure. Pour lui, cela dépassait l'entendement. Incapable de fermer l'oeil, le pauvre loup-garou sortit des couvertures, non sans entendre un grognement de la part de son amoureuse. En mettant les deux pieds sur le sol froid de la chaumière, une question apparut dans son esprit : où-est ce que le duo qui les accueillait dormait? Dormait-il réellement ou passait-il la nuit à chasser les vivants à l'extérieur, ou encore fabriquait-il des potions pour les empoisonner demain matin?- Tu penses trop depuis le sacrifice de Paige, se dit l'homme à basse voix avant de sortir dehors pour prendre l'air.Heureusement, aucune pleine lune n'était visible. Il pouvait donc garder un souvenir de sa promenade nocturne. En effet, sous sa forme de loup-garou, tous ses souvenirs s'effaçaient, à l'inverse d'Hannah. La plupart des préparatifs reliés au kidnapping de Paige ont été préparés alors que des griffes pendaient au bout de ses doigts. Le Harold humain parlait très rarement du Culte des Loups-garous. La seule exception consistait en de simples textos à Hannah sur l'avancement du plan. La perte de Paige était, en quelque sorte, seulement un horrible désir de son côté bestial. Et Angela, sa femme qui s'était pendue faute de retrouver sa fille, fut un dommage collatéral de toute cette mascarade. Cependant, de ce côté-là, Harold n'avait aucun regret. Il trompait allègrement Angela avec Hannah sans le moindre scrupule. Il n'avait que d'yeux pour sa précieuse descendance, qui, malheureusement, n'eut pas le gène lycanthrope qu'il aurait tant désiré voir apparaître chez elle. Peut-être que sa disparition était pour le mieux, après tout. Toutes ces pensées envahissaient l'esprit d'Harold alors qu'il contemplait le crépuscule dans toute sa beauté. Déterminé à se plonger encore plus profondément dans ses réflexions, il entreprit de traverser la mince brume qui recouvrait le sol en pierres pointues.- Une bonne chose que je porte des chaussures à semelles épaisses, se dit l'ancien père en ricanant. La brume se dissipait peu à peu au rythme des pas d'Harold. Il ne perdait pas l'astre nocturne des yeux alors qu'il s'approchait dangereusement de la mairie où se trouvait le Vampire. Le maire était dans son bureau ce soir-là, en faisant les cent pas.- Comment ont-ils pu échapper à mon emprise? La prochaine fois que je les vois, je les attache, ces salopards!, murmurait-il.À travers la grande fenêtre, il ne voyait que les petites chaumières endormies, sans le moindre indice qu'Harold se dirigeait tout droit vers son bâtiment fétiche. Le Vampire retourna à ses moutons, but un peu de sang de sa réserve et se remit à observer la baie vitrée. Cette fois-ci, il vit le mouvement de la brume qui s'adaptait aux chaussures d'Harold.- Mais qui est-ce donc? Un intrus retournant sur la scène de son crime?, jubilait le Vampire, qui se disait que retrouver les fugitifs serait un jeu d'enfant.Alors qu'Harold s'apprêtait sans le savoir à s'incriminer, une force invisible le repoussa, reformant la brume sous les pieds du loup-garou terrifié.- CE N'EST PAS VRAI!, hurla le Vampire, déçu.La force plaqua Harold contre un mur et se révéla : il s'agissait d'un fantôme, comme dans les contes et les légendes. Ce dernier était tout en blanc, à l'exception de sa bouche colorée en rouge ainsi que trois boutons en pompoms sur son abdomen. Comme tout spectre qui se respecte, il flottait à quelques centimètres du sol à l'aide d'une petite queue en tourbillon. Sa tête se composait en un crâne transparent sans aucun œil présent dans les orbites.- Vous avez risqué gros, ici, mon cher! Le Vampire est obsédé par l'idée de vous retrouver.- Vous êtes qui vous?- On discutera plus tard. Pour l'instant, partons d'ici.Le fantôme reprit son aspect invisible et tira Harold par le collet à travers les rues tordues de Monsterland. Le pauvre homme terrifié se laissait porter, impuissant face à la situation qui l'emportait. Lui qui ne voulait que faire une petite promenade nocturne se retrouvait maintenant dans les bas-fonds de la dimension, hors du quartier habituel. La vitesse du Fantôme atteignait des proportions hallucinantes. Harold ne pouvait plus voir d'images fixes, tout était flou et en mouvement. Il se demandait comment il pouvait respirer et être en vie. Au bout de quelques secondes, qui paraissaient comme des siècles pour l'intrus, le Fantôme s'arrêta dans un coin méconnu de Monsterland. Au lieu d'un cimetière, on y trouvait de grandes étendues noires peuplées de petits champignons rouges. On aurait dit une mine de charbon fertile.- Vous venez souvent ici?, dit Harold d'une voix tremblotante.- Très! Ça m'éloigne de cette rapace qu'est le Vampire. Laissez-moi me présenter. Je suis le Fantôme, esprit frappeur de la dimension et préposé aux farces. Et vous?- Harold. Harold Wilkins.- Un beau prénom, tiens donc. Nous allons désormais nous tutoyer, d'accord?- J'imagine, répondit l'homme totalement déboussolé.Le Fantôme attrapa une bûche avec ses mains transparentes, ce qui fit tomber la mâchoire de son interlocuteur qui n'avait jamais vu une telle chose auparavant. L'esprit la déposa et plia sa queue afin de s'asseoir dessus.- Harold, je n'ai pas rencontré un nouveau partenaire de farce depuis plusieurs années maintenant. Depuis que le Vampire m'a... hum... renié, je ne peux rien faire pour m'amuser. Je suis forcé de rester dans ma caverne... isolé... personne qui me tient compagnie, tu te rends compte!- Vou- tu veux en venir où?, bégaya Harold.- J'ai besoin de m'amuser, mon cher! Je ne peux sortir que la nuit. Tout le monde dort, sauf toi apparemment. Qu'en dis-tu? Un peu de chaos et de légèreté n'a jamais fait de mal à personne.Dans la tête d'Harold, les réflexions s'entrecoupaient. Certes, il se sentait morose en pensant à sa fille, mais quoi de mieux pour se changer les idées que passer du temps avec un fantôme que nous avons rencontré il y a quelques minutes à peine? «Quelle pensée stupide.», se dit l'homme. Comme s'il avait lu ses pensées, le spectre fit apparaître une photo de Paige.- Tu penses à elle, n'est-ce pas?Harold, les yeux emplis de larmes, laissa ses émotions prendre le dessus. Alors que plusieurs sanglots éclataient, le Fantôme mit son doigt sur son front. L'homme attristé releva la tête, les pupilles noircies. Les larmes avaient disparu aussi rapidement qu'elles étaient apparues.- Nous allons avoir un peu de plaisir, maintenant, car cela fait beaucoup trop longtemps que je ne me suis pas DÉ-TEN-DU!, hurla le Fantôme, en prenant le contrôle d'Harold.- C'est parti!, répondit le loup-garou hypnotisé.Ainsi commença une nuit de débauche pour Harold et son partenaire. En répétant sa course effrénée, il entreprit de se rendre à la chaumière de la Sorcière afin d'y voler son balai volant.- Pourquoi faire?, demanda un Harold encore dans les vapes. Tu sais voler, non?- C'est beaucoup plus plaisant sur la propriété d'autrui, répliqua le Fantôme, amusé.Harold se mit à rire aux éclats. Alors que les deux compères survolaient Monsterland, le Fantôme fit apparaître des confettis qu'il lança allègrement sur les maisons, incluant la mairie de la ville.- Oh! J'ai une idée!, s'exclama le spectre en piquant en flèche vers le toit de la mairie.Arrivés à destination, les partenaires de farce s'amusèrent à faire couler des pots de peinture complets sur la façade du bâtiment. Cette mesquinerie les faisait hurler de rire, mais aucun habitant ne se réveilla pour voir le désastre. Endormis bien profondément, ils ne verront jamais les plaisanteries d'Harold et du Fantôme pour une raison quelque peu mystérieuse. Suite à ce déversement de peinture, l'esprit frappeur se concentra de toutes ses forces afin de créer de toutes pièces deux immenses massues. Harold regardait le tout, subjugué par tant de puissance créatrice.- Comment le Vampire peut te garder encore ici?, dit-il.Comme réponse, le Fantôme ne fit que ricaner avant de passer une massue à son compagnon.- Que dirais-tu de fracasser quelques vitres sur ta musique préférée?Harold avait maintenant des étoiles qui pétillaient dans ses yeux noirs. En même temps, le Fantôme et le loup-garou s'écrièrent :- Make Your Own Kind Of Music de Cass Elliot!Venant de nul part, le refrain de cette chanson mythique et emplie de vie se fit entendre bruyamment.You gotta make your own kind of musicSing your own special songMake your own kind of musicEven if nobody else sings alongÀ la chanson s'ajoutaient les rires incontrôlables des deux trouble-fête sur un fond de bruitages de fenêtres cassées. Toutes les maisonnettes de la rue principale y passèrent. Harold était totalement déconnecté de la réalité à présent. L'homme morose qui réfléchissait à son passé il y a de cela quelques instants avait disparu à travers les morceaux de vitre qui volaient en éclats.You're gonna be nowhereThe loneliest kind of lonelyIt may be rough goingJust to do your thing's the hardest thing to doLa chanson semblait s'éteindre peu à peu, tout comme les souvenirs d'Harold à ce moment-là. La noirceur l'encadrait, jusqu'à ce que plus rien ne vivait autour de lui.*****La lumière du soleil brûlait la rétine des yeux d'Harold. Étendu sur l'espèce de mine de charbon fertile, il ne comprenait pas où il était. Par chance, il vit un homme au loin, avec des lunettes épaisses, un long sarrau blanc et des gants de la même couleur que le sol de cette lande particulière. Harold se releva difficilement et fit de grands signes avec ses mains.- Vous! VOUS! AIDEZ-MOI! Où suis-je?L'inconnu l'aperçut et vint à sa rencontre, tout en ajustant ses lunettes.- Restez calme, M. Wilkins. Vous avez vécu une expérience assez particulière. Vous savez combien de personnes ont la chance de passer la nuit avec un esprit frappeur?Harold resta bouche bée. Comment savait-il son nom de famille?- Enchanté, je suis le Savant fou. Je vous annonce que votre partenaire de farces avec qui vous avez fricoté toute la nuit est un monstre banni par le Vampire lui-même.Pour l'homme à moitié endormi, cela faisait beaucoup d'informations à analyser tout d'un coup.- Et toutes les plaisanteries que j'ai faites avec lui...- Disparues. Effacées de la réalité. Le Fantôme ne sort que très rarement de sa cachette. Et lorsqu'il le fait, les effets sont dévastateurs.Harold s'assit sans le savoir sur la même bûche utilisée par le Fantôme durant la nuit.- Et comment vous savez tout ça?Le Savant fou se mit en chemin vers la rue principale en laissant Harold sur une phrase plus que mystérieuse :- Vous savez, les paires d'yeux ne manquent pas à Monsterland.Le Savant disparut aussi vite qu'il était apparu, laissant Harold dans ses pensées houleuses.
VOUS LISEZ
Monsterland
Fiction généraleAprès le vol de la fameuse boîte à musique, le Joker et Harley Quinn se retrouvent coincés à Monsterland, une nouvelle dimension parallèle à Nemesisland, accompagnés de Hannah Brooks et de Harold Wilkins, un couple de loups-garous de Salem. Rapideme...