Une Romance de Vacances

Bonus - Journée du surf

Même au creux de la vague, debout sur sa planche, Jesse pouvait entendre la musique provenant de la plage. Son ouïe plus fine qu'autrefois captait même les interventions du commentateur et quelques uns des cris poussés par le public. Le tout formait une mélodie unique, se mélangeant aux battements réguliers mais rapides de son coeur, au grondement de la vague autour de lui, au chant de sa planche sur l'eau. La mélodie merveilleuse du surf, son chant des sirènes.

Un éclat vif sur le côté lui tira un sourire sans le déconcentrer. Il savait qu'Eliakim était là, tout près, suivant sa planche, se faufilant dans son ombre. Veillant sur lui et l'encourageant. C'était sa première compétition depuis qu'il avait sa prothèse, la première fois qu'il pouvait montrer combien il avait progressé depuis le jour terrible où sa vie avait basculé. Et la présence d'Eliakim était une sécurité, l'assurance qu'il ne se noierait pas, que rien ne pourrait lui arriver parce que sa sirène avait promis de ne plus jamais laisser quoi que ce soit lui faire du mal. Et il s'en sortait très bien.

Ravi, gonflé d'adrénaline et de joie, Jesse agita un peu ses orteils bien vivants pour sentir la texture de sa planche mouillée et son adhérence. L'océan chantait et grondait en-dessous de lui, l'emportant à toute vitesse vers le prochain rouleau formidable qui se formait et c'est sans hésitation que Jesse fléchit les genoux pour s'y précipiter avec un rire d'euphorie. Eliakim suivit le mouvement de la vague et passa au-dessus de lui, parvenant à lui voler un baiser au passage avant de disparaître dans le bleu profond de l'océan. Une seconde plus tard, Jesse jaillit hors du rouleau pour bondir sur la crête, prêt à tenter un aerial complexe. Il s'était beaucoup entraîné, jusqu'à être capable de le réaliser une fois sur deux, mais il était certain d'y parvenir. Parce que ce n'était pas si différent de ce qu'il faisait lorsqu'il avait sa queue et qu'il bondissait au-dessus des vagues. Utilisant la déferlante comme un tremplin, il s'élança au-dessus de l'eau et tourna sur lui-même en maintenant sa planche avant de redescendre et de heurter souplement la surface pour suivre le reste de la vague. Les oreilles résonnant des cris de la foule, il se laissa porter plus doucement vers la plage pour y achever son tour.

Comme souvent, la transition entre la mouvance de l'eau et la solidité du sable le fit trébucher mais il parvint à tenir debout et à détacher le leash de sa cheville sans se casser la figure. Tout autour de lui, les gens applaudissaient et criaient son nom mais il n'en fit pas grand cas, cherchant une personne en particulier. Le temps qu'il fasse dix pas sur la plage, il aperçut un mouvement bleuté et sourit largement en voyant Eliakim courir vers lui.

— Tu as réussi ! s'écria la sirène en se jetant à son cou.

Cette fois Jesse ne parvint pas à rester debout et il tomba sur les fesses en riant, amortissant leur chute à tous les deux. Les transformations d'Eliakim étaient de plus en plus rapides parce qu'il s'y était habitué, et la douleur passait désormais très vite, ce qui lui permettait de changer de forme en un rien de temps. Les quelques minutes que Jesse avait mises à quitter le rouleau et à regagner la plage lui avaient suffi à échanger sa queue contre une paire de jambes et à enfiler un bermuda avant de courir vers lui.

— Bien sûr que j'ai réussi ! rit-il. Tu étais là pour veiller sur moi.

— Mais cela ne change rien au fait que tu as repris toute ton assurance sur ta planche. Tu as épaté tout le monde !

Et il en était immensément fier. Depuis qu'il avait transformé Jesse par accident, lui sauvant la vie à défaut de sauver sa jambe, il s'était inquiété que son petit ami ne puisse plus jamais surfer comme avant. Mais Jesse avait persévéré, décidé à récupérer ce qui avait toujours fait toute sa vie, et désormais il était aussi bon qu'autrefois. Meilleur, peut-être, parce qu'il n'avait plus peur de l'océan et que cette assurance le rendait encore plus téméraire. Et Eliakim était prêt à parier qu'il finirait par nager tout aussi bien, comme s'il était né avec une queue à la place des jambes. Sa nouvelle prothèse était définitivement un petit miracle de progrès.

Pris dans la magie de l'instant, euphorique et encore vibrant d'adrénaline, Jesse passa une main dans ses cheveux lourds d'eau de mer et attira son visage au sien pour l'embrasser sans cesser de sourire. Plusieurs personnes les applaudirent et il en sourit encore plus, ravi de montrer qu'il avait en plus la chance d'avoir le meilleur petit ami du monde.

Ils se relevèrent tant bien que mal, juste à temps pour être rejoints par Matt, ses parents et Ariel. La compétition avait lieu à Hossegor, tout près de la plage où Nick et Spencer avaient épousé Violet et Betty, et ils logeaient dans leur maison de famille pour quelques jours.

— Mec, tu as battu un record ! s'exclama Matt en lui tapant sur l'épaule. Personne n'a jamais réussi à faire ça avec une jambe artificielle et le jury n'en revient pas. Je te parie ce que tu veux que tu vas rentrer avec un trophée ce soir.

— J'ai déjà tout ce que je pourrais désirer, rétorqua Jesse en passant son bras autour des hanches d'Eliakim. Mais je suis heureux d'avoir enfin pu retrouver mon niveau.

— Retrouver ton niveau ? Tu plaisantes ? Tu t'es surpassé ! Même avec tes deux jambes et au mieux de ta forme t'avais jamais aussi bien réussi une figure pareille !

Rougissant cette fois un peu, Jesse se tourna pour embrasser Eliakim sur la joue avant de se tourner vers son cousin et les autres.

— Je n'ai fait qu'appliquer les conseils de Kim au surf, plutôt qu'à la nage. Et ça a très bien marché.

— On dirait bien, s'amusa Ariel. Je crois que je vais te demander un ou deux conseils alors, Eliakim.

Il lui répondit d'un grand sourire alors qu'ils s'écartaient un peu de la plage pour se mêler aux spectateurs et observer les autres concurrents en attendant la remise des prix. Honnêtement, Jesse se fichait bien de la place qu'il avait obtenue, parce qu'il était simplement heureux de réussir à surfer à nouveau comme autrefois. Il se sentait enfin complet, guéri, et il n'avait pas besoin de plus pour son bonheur.