Une Romance de Vacances

Bonus - Inktober 2020 : Fish & Rain

A l'occasion de l'Inktober, j'écris une scène par jour avec des personnages. Je posterai ici les scènes avec Jesse et Eliakim ♥ 

La pluie tropicale tombait en rideau épais depuis plusieurs jours, brouillant le paysage et faisant murmurer les arbres. À la surface du lagon, elle se mêlait à l'eau de l'océan, tiède et douce, presque terrestre. Jesse adorait flotter dans cette petite couche d'eau douce et salée, la laissant caresser ses écailles. Ils n'avaient pas beaucoup visité l'île en elle-même, restant la plupart du temps dans la petite cité sous-marine où Keahi et Berhan les avaient accueillis, deux semaines plus tôt.

Au milieu des vacances, ils avaient pris l'avion de Melbourne pour les îles Vanuatu et ils avaient nagé depuis l'archipel jusqu'à Vanikoro. Retrouver l'immensité de l'océan indien leur avait fait un bien fou après l'Angleterre et le froid de la Manche, et ils avaient fait la course avec les courants marins, mettant à profit la nouvelle prothèse de Jesse qui faisait des merveilles. Sa nageoire caudale resterait toujours un peu maladroite et moins puissante que si elle avait été entière, mais il compensait par les muscles de ses bras et ne s'en sortait pas mal du tout, pour une sirène transformée depuis à peine un an.

Eliakim veillait sur lui avec attention lorsqu'ils étaient dans l'eau, tout comme Jesse veillait sur lui à la surface. L'un comme l'autre, ils avaient fait de grands progrès et se sentaient bien plus à l'aise dans leurs corps.

Un mouvement dans l'eau attira l'attention de Jesse qui se retourna souplement, juste à temps pour recevoir Eliakim qui nageait à toute vitesse vers lui. Son petit ami le percuta à moitié et ils tourbillonnèrent dans l'eau tiède avant de se stabiliser.

— Faut que tu viennes voir ça ! s'écria Eliakim. Berhan a trouvé l'endroit qu'il cherchait à nous montrer et tu vas a-do-rer !

Il se pencha en avant, lui vola un baiser, puis entremêla leurs doigts et le tira avec lui en direction des profondeurs. Les eaux étaient troubles à cause de la pluie mais les sirènes étaient faites pour ça et leurs autres sens prenaient la relève si leurs yeux ne suffisaient pas. Jesse avait donc conscience des rochers qu'ils longeaient, des dizaines de poissons qui s'écartaient paisiblement sur leur chemin, des algues qui ondulaient sur les côtés, et de toutes les choses qui les entouraient. Mais il se concentrait sur la main d'Eliakim dans la sienne et sur la curiosité que sa remarque avait éveillée.

Berhan les attendait, presque invisible dans l'ombre avec ses écailles noires, seules les lignes bleues luminescentes de son corps permettant de le repérer. Keahi n'était nulle part en vue.

— Je l'ai trouvé ! annonça Eliakim sans lâcher la main de Jesse. Il flottait sous la pluie, comme hier.

— Je peux le comprendre, s'amusa Berhan. La pluie a le goût de la surface.

Comme souvent, il avait deviné exactement ce que Jesse ressentait et le blond sourit, appréciant chaque jour davantage de compter la sirène noire parmi ses amis. À ses côtés, Eliakim se pencha et lui vola un baiser, juste assez marqué pour le faire rougir.

— En effet, murmura-t-il. Le goût de la surface...

Plus d'une année s'était écoulée et il aimait toujours autant le sucré, ce que Jesse trouvait adorable. Mais pour le moment, il n'était pas là pour embrasser Eliakim à n'en plus finir.

— Tu pourras goûter l'eau de pluie sur moi tant que tu veux, souffla-t-il. Mais tu m'as promis une surprise, non ?

Sur un dernier baiser à la commissure de ses lèvres, Eliakim s'écarta et adressa un signe de tête à Berhan qui souriait doucement, amusé par leur interaction amoureuse. Même s'il avait grandi dans une famille assez nombreuse où la pudeur était inexistante, Jesse ne s'était pas encore habitué au naturel avec lequel les sirènes traitaient l'intimité. L'amour n'avait jamais rien de honteux et l'on pouvait se permettre des gestes en public qui auraient valu une condamnation pour atteinte à la pudeur dans le monde des humains.

— Venez voir, les invita Berhan. C'est par ici.

Il plongea et Eliakim le suivit, tirant Jesse par la main pour l'aider à suivre le rythme. Un peu plus loin, l'eau s'éclaircit, percée par de rares rayons de soleil qui firent étinceler les écailles des poissons colorés tout autour d'eux. Parmi les algues qui ondulaient paisiblement, des morceaux de bois bien abîmé se devinaient encore, trace d'un ancien naufrage. Il ne restait pas grand chose, ce qui s'expliquait sans aucun doute par la force de certains courants qui tourbillonnaient au-dessus de la tête, et Jesse fut saisi d'un doute en voyant un hippocampe sortir d'un trou trop régulier pour être naturel et qui s'avéra être le reste d'une tasse en porcelaine.

— Ne me dites pas que... commença-t-il avant de s'arrêter en voyant le regard d'Eliakim.

Ce dernier arborait un petit sourire plus amoureux qu'amusé et ses yeux brillaient d'excitation alors qu'il attendait sa réaction. Jesse le regarda une seconde de plus, puis se tourna vers Berhan qui se contentait de sourire d'un air neutre, puis il revint vers les vieux débris qui avaient sombré si longtemps auparavant. Ça et là, il y avait des petits morceaux d'objets en très mauvais état, que l'océan s'était approprié à sa manière, mais Jesse savait parfaitement qui avait fait naufrage à Vanikoro, des siècles plus tôt.

— Ce sont les restes des navires de La Pérouse, n'est-ce pas ? demanda-t-il d'une voix un peu étranglée. L'Astrolabe et la Boussole...

— Quelques restes, oui, répondit Berhan en s'approchant. Les courants en ont dispersé la plus grande partie et les recherches menées par les humains ont emporté tout ce qui était accessible depuis la surface. Eliakim m'a dit que tu voudrais voir ça.

— Et comment !

Émerveillé, Jesse effleura du bout du doigt la bouche ouverte d'un vieux canon et se mit à rire lorsqu'un poisson en sortit et nagea autour de son bras comme un chat voulant des caresses. Dans son dos, il sentit Eliakim s'approcher, juste avant que ses bras ne s'enroulent autour de sa taille et qu'il n'effleure ses branchies d'un baiser.

— Merci, murmura-t-il.

— Tu m'as montré tellement de belles choses à la surface... c'est à mon tour de te montrer les merveilles de la mer.