Une Romance de Vacances

Chapitre 14 - Keahi

Tout doucement, Eliakim cessa de chanter, le regard encore rivé à la lumière qui brillait dans la chambre de Jesse. Même d'aussi loin, il devinait sa silhouette, et celle de Matt à ses côtés. Savoir que son chant avait été entendu apaisa le tourment de son coeur et il sourit en songeant que Jesse allait s'endormir bercé par sa voix. Il regarda la lumière s'éteindre et descendit du rocher sur lequel il était perché pour se glisser dans le petit bassin qui communiquait avec la grotte qu'il s'était trouvée.

Un clapotis attira soudain son attention et il se raidit, devinant l'approche de quelque chose. Au lieu de gagner son nouvel abri, il sortit des rochers pour faire face au large et voir ce qui venait vers lui. Une crête dorsale fendit les vagues dans un remous, suivie d'une caudale rouge, avec un mouvement plus discret sur le côté. Tendu, Eliakim les regarda approcher et plongea pour faire face. Passé la difficulté de la première inspiration avec ses branchies, il manqua s'étouffer en découvrant deux sirènes, dont l'une lui était particulièrement familière.

— Keahi ! s'exclama-t-il dans un envol de bulles.

Il nagea dans sa direction et se précipita dans ses bras grands ouverts pour le serrer contre lui avec force, heureux de le revoir. Puis il recula pour regarder la sirène qui l'accompagnait, un homme qu'il n'avait jamais vu, à la peau sombre et à la queue d'un bleu incroyable, aux motifs luminescents, tout comme les longues dreads qui encadraient son visage.

— Voici Berhan, indiqua Keahi avec une tendresse visible. Ma lumière.

— C'est un plaisir de te rencontrer, assura ce dernier. J'ai beaucoup entendu parler de toi, Eliakim.

— Le plaisir est partagé, je suis heureux de voir que tu as su rendre le sourire à Keahi. Que me vaut le bonheur de votre présence ici ?

— Nous avons entendu ton cri jusque dans notre cité, expliqua Keahi. Nous sommes partis aussitôt à ton secours, mais en arrivant près d'ici, impossible de te trouver. Nous longeons la côte depuis plusieurs jours et ton chant nous a guidés jusqu'ici.

— C'était une magnifique chanson d'amour, ajouta Berhan avec douceur. Celui à qui elle est destinée a de la chance.

Eliakim sourit tendrement en pensant à Jesse puis se détourna pour inviter ses compagnons inattendus à le suivre dans son nouvel abri. C'était une petite grotte, assez large pour qu'ils puissent tenir tous les trois sans avoir à se frôler, dont le sol était de pierre polie par des siècles de marées. Idéale pour y dormir confortablement et en toute sécurité. Ça ne ressemblait pas à une maison habitée comme on en trouvait dans les cités, mais c'était tout ce dont il avait besoin pour l'instant. Sa maison se trouvait sur la terre ferme, là où Jesse était en train de s'endormir.

— Que s'est-il passé ? interrogea Keahi une fois dans l'abri. Pour qui était ce chant merveilleux ?

— Pour celui qui m'a sauvé. Il s'appelle Jesse et c'est un humain. Un... sensitif, c'est le nom que l'on donne à ceux qui sont capables de reconnaître les non-humains. Il m'a entendu appeler à l'aide et il est venu à mon secours. Il m'a libéré des rochers qui avaient blessé ma caudale et il m'a soigné, nourri et protégé. Lorsque la tempête est revenue, il m'a emporté dans sa maison, dans le bassin qu'il appelle baignoire, pour me mettre en sécurité. Je lui dois la vie, sans lui je serais sans doute mort de faim ou de fatigue.

En quelques phrases, il raconta ce qui lui était arrivé, depuis la première tempête jusqu'à cette première nuit qu'il s'apprêtait à passer dans sa nouvelle grotte. Il leur parla de Jesse, de sa gentillesse et du fait qu'il refusait de céder à son attraction naturelle, et ils écoutèrent sans l'interrompre, devinant au travers de ses mots combien l'humain comptait à ses yeux. En retour, ils lui racontèrent leur histoire, résumant tout ce qui s'était passé au cours des années écoulées depuis qu'Eliakim et Keahi s'étaient séparés.