Chapitre 1 : Le cadavre de la Tamise

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              Pour Sherlock Holmes, elle était toujours La Femme. Cette femme qui l'avait battu, mais pour qui il éprouvait un immense respect, seule exception de ce "sexe faible" comme il aimait à le dire, et pour qui il conservait des souvenirs et des sentiments tous plus étranges les uns que les autres que le commun des mortels considérait comme évident mais qui lui étaient complètement inconnus. Depuis les événements d'un Scandale en Bohême, récit que j'ai pu raconter plusieurs années après leur survenance, mon ami n'avait cessé de se la remémorer par ce nom, La Femme, et de garder dans le tiroir de son bureau du 221B Baker Street cette photographie d'elle-même qu'elle avait autrefois donné au roi Wilhelm Gottreich Sigismond von Ormstein, en symbole de cette victoire qu'elle avait eu sur le détective et son client. Après cette affaire de 1888, elle avait, paraît-il, migré avec son mari l'avocat Norton vers les Amériques, en emportant la photo tant recherchée par le roi de Bohème, notamment du fait de sa délicatesse. Il était vrai qu'à cette période, voir le roi aux côtés d'une femme avait qui il avait entretenu des relations amoureuses, alors que ce dernier n'allait pas tarder à se fiancer avec la princesse d'un royaume voisin, était d'une délicatesse absolue dont il fallait tenir compte et c'était pour la récupérer que von Ormstein avait fait appel à Holmes. L'affaire clôturée avait été, me semblait-il, par la suite mise de côté par Sherlock Holmes jusqu'à ce qu'un jour, Scotland Yard ne le contacte à nouveau pour un cas qui raviverait les sentiments et soulèverait les fantômes du passé.

              Ce fut donc un de ses mardis pluvieux du mois de février pendant lesquels mon ami parcourait l'ensemble de notre logement du 221B sans jamais trouver une source suffisamment importante pour stimuler son intelligence hors-norme que se produisit cet événement. Lui ayant strictement interdit de consommer ces substances qu'il aimait tant prendre lors de ses phases d'ennui suprêmes, Holmes arpentait le salon de long en large, couvrant les meubles de sa fine ombre projetée par le feu de cheminée allumé par Madame Hudson quelques minutes plus tôt. Tandis que j'étais assis sur mon fauteuil, les jambes étirées vers cette plaisante chaleur, lisant un quotidien sorti le matin même, et que mon ami grognait quelques mots à mon encontre, nous entendîmes Madame Hudson gravir les dix-sept marches de l'appartement en vitesse. C'est-à-dire qu'avec son âge, notre logeuse ne préférait habituellement pas se presser, sauf lorsque l'heure du thé avait sonné et qu'elle se devait de nous l'apporter, ce qui n'était évidemment pas le cas en ce jour. Intrigué par cette montée en puissance de madame Hudson, Holmes, qui aurait certainement fini par graver le parquet de ses pas incessants, s'était arrêté net et avait tourné son regard vers la porte du salon au moment où elle s'ouvrait. Le visage de la bonne dame était apparu, puis son bras s'était étendu vers nous, au bout duquel se trouvait un télégramme que le détective s'était empressé de saisir avant de refermer la porte, non sans remercier madame Hudson. Je pus voir l'entrain de Holmes naître à mesure qu'il parcourait les lignes de ses yeux de lynx, glissant sur les mots pour n'en sélectionner que les plus utiles. Son regard étincelait à mesure qu'il atteignait le bas de la missive et un sourire que je connaissais bien pu se lire sur ses lèvres : on demandait monsieur Sherlock Holmes dans la résolution d'une enquête. Il releva enfin la tête, après avoir parcouru plusieurs fois le télégramme pour s'assurer de son existence, et me jeta ce regard pénétrant et singulier qui lui appartenait.

- Notre ami l'inspecteur Lestrade nous demande, Watson.

- Scotland Yard a besoin de votre aide pour une enquête ? Cela doit bien vous réjouir, vous qui n'avez rien à vous mettre sous la dent depuis quelques semaines.

- Scotland Yard a toujours besoin de moi, dit-il alors qu'il enfilait son épais manteau de laine. Allons voir ce que ces inspecteurs n'ont pas réussi à analyser.

            Je me levais de mon fauteuil et jetais à mon tour ma veste sur mes épaules : par ces temps, il valait mieux ne pas se mouiller si on ne voulait pas tomber malade, surtout que Londres était victime de pluies diluviennes et d'épidémies de rhume et autres maladies que je connaissais bien.

Le retour d'Irène Adler : a Sherlock Holmes storyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant