Comme Holmes l'avait convenu, j'avais réussi à m'infiltrer dans l'entrepôt avant l'heure du rendez-vous. Habillé tel un jardinier londonien, une pince coupante à la ceinture, mon revolver dans une des poches de mon pantalon large, j'avais accéder au toit du gigantesque bâtiment par l'escalier de secours qui se trouvait à l'arrière et qui, heureusement pour moi, longeait le parc dans lequel j'avais été temporairement embauché. Tout en surveillant mes arrières de peur de voir débarquer un homme de main de ce M, j'avais ensuite pris position sur la plus haute plate-forme à l'intérieur de l'entrepôt, collant mon visage à la rambarde en métal pour observer l'ensemble du lieu. D'ici, j'avais une vue imprenable sur le hangar : trois niveaux de plate-formes se succédaient, surplombant le sol grouillant de déchets qui entouraient une sorte d'énorme cuve, trou noir qu'il valait mieux éviter. Comme Holmes l'avait certainement remarqué en arrivant, mon regard fut attiré par ces imposantes lettres rouges inscrites sur les murs, trois étages plus bas, et qui s'adressaient effectivement à mon ami tel un mauvais présage.
Sur une des plus basses plate-formes se tenait l'auteur de tous nos problèmes, le virus qui corrompait les données : James Moriarty n'était pas un homme imposant, mais il dégageait cette autorité naturelle, ce charisme qui, comme Mycroft Holmes, rendait tout interlocuteur automatiquement inférieur. Le fait de savoir que cet homme, qui avait mis en péril la vie de mon ami et de son frère, se trouvait quelques mètres plus bas, à portée d'armes me donnait l'envie de dégainer et de le perforer de ma balle : après tout, il ne serait pas une grande perte pour Londres, avec tous les crimes dont il se vantait à présent. Mais, alors que je sortais mon revolver pour suivre mon instinct trop protecteur envers Sherlock Holmes, mon cerveau me conseilla soudainement de ne plus bouger. En effet, alors que l'entrepôt devait être vidé des hommes de Moriarty, une immense silhouette se mouvait à ma droite, accoudée à la rambarde, un objet long glissé dans le dos. Il me paraissait évident, alors que je contemplais cette forme cachée dans la pénombre, que cet allié de Moriarty était ici pour assurer la sécurité de son maître, un fusil Martini-Henry à portée de main en cas de problème. Ainsi, Holmes avait vu juste : son némésis ne comptait pas le tuer mais il était prêt à tout pour survivre, même si cela pouvait contrecarrer un tant soit peu ses plans. Au vu de la carrure de l'homme et de ses mouvements, silencieux et mesurés, je compris que c'était un ancien militaire et certainement celui qui avait agressé mon ami à Road Park. Je ne savais pas dans quel domaine il avait pu faire ses classes ni dans quel pays il était parti par la suite, mais je me sentais maintenant ridicule, tapis à quelques mètres de lui, conscient qu'il pourrait sans peine sentir ma présence et me transpercer le cerveau de son fusil. L'Angleterre formait ses militaires avec rigueur pour leur permettre de survivre dans les colonies les plus hostiles et, comme ses avants-bras le démontraient par d'importantes cicatrices rouges, cet homme devait savoir se battre et repérer l'ennemi à des kilomètres. Heureusement pour moi qu'à ce moment précis, je ne connaissais pas encore son identité car elle m'aurait fait frémir et rebrousser chemin : j'apprendrais plus tard que cet homme n'était autre que le colonel Sebastian Moran, tireur d'élite du 1st Bangalore Pioneers et chasseur de tigres à ses heures perdues et, comme le découvrirait Holmes bien plus tard, exécuteur personnel de James Moriarty.
Je sentais plus que tout que Moran était une menace pour nous : guettant le moindre mouvement de Sherlock Holmes, il gardait les bras le long du corps, prêt à récupérer le fusil sûrement chargé qui pendait dans son dos au moindre signe de son chef. J'hésitais longuement entre lui sauter au cou et le maîtriser, bénéficiant encore de l'effet de surprise, ou le laisser libre jusqu'à ce qu'il décide d'abattre Holmes au risque de le voir soit réussir à le tuer. J'allais opter pour la seconde option, conformément au plan de mon ami qui me demandait de rester discret, quand Moran se retourna : je pus lire aux rides qui apparaissaient sur son visage que ma présence ici n'était pas exactement ce qu'il avait prévu et, décontenancé, il tendit le bras vers son fusil pour l'attirer vers lui.
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Le retour d'Irène Adler : a Sherlock Holmes story
Ficção GeralAprès les événements d'un Scandale en Bohême, qui pouvait penser qu'Irène Adler reviendrait à Londres avec plus de secrets qu'à son départ ? John Watson consigne ici une affaire survenue cinq ans après celle de l'affrontement entre La Femme et Sher...