Chapitre 2 : Le Hound pub

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          Whitechapel est un quartier qui sort du naturel : le jour, les plus pauvres de Londres se réunissent dans les rues pour quémander à manger ou récupérer de l'argent par quelconque moyen, passant de la simple mendicité à la prostitution ou aux offres les plus saugrenues, du nettoyage de fiacre à l'assassinat de personnes. Dans certaines ruelles, les rats pullulent aussi bien que les citoyens, eux-aussi touchés par la famine et la pauvreté. La nuit, les quartiers sont peuplés de créatures tout aussi effrayantes que le jour, mais auréolées d'une certaine fantaisie que ces lieux portent. Les prostituées ne se cachaient plus, les voleurs non plus et les assassins n'hésitaient pas à exhiber les têtes de leur victime en attendant la prochaine. Peut-être suis-je en train d'exagérer les traits de cette petite partie du grand Londres, mais c'était ce que le quartier me laissait penser quand nous approchâmes du Hound pub alors que le soleil décroissait dans le ciel déjà bien peu éclairé du fait de la présence des nuages. J'avais à peine régler les frais au cocher que celui-ci était reparti, peu confiant dans la rue du Hound pub. Ce dernier se dressait majestueusement devant moi, orné de sa grande devanture à la tête de chien et de ses murs aux énormes vitres qui laissaient voir les clients, le plus souvent des ivrognes, s'atteler à la lourde tâche qu'était l'absorption d'alcools de toute sorte. Le Hound pub paraissait être un de ses rares établissements de Whitechapel à accueillir une clientèle encore décente, quoique cela variait en fonction des jours et des nuits.

       J'entrai donc, mal à l'aise, dans la taverne et fit face aux nombreux regards de jugement qui se tournaient vers moi en même temps, dévisageant l'étrange petit médecin londonien, bien vêtu, qui pénétrait les terres interdites de Whitechapel. Il était vrai que, dans de telles conditions, j'étais certainement une belle proie pour les sauvages qui voudraient s'en prendre à moi et, malgré mon revolver bien placé dans la poche de ma veste, je ne me sentais que peu en sécurité dans ce lieu que je ne fréquentais habituellement pas. J'étais en train de me demander pourquoi Holmes ne m'avait pas accompagné dans cette expédition, quand j'aperçus le tavernier derrière son comptoir, essuyant quelques verres de son chiffon sali par la journée. S'il y avait bien une personne capable de me renseigner sur la venue de Norton, cela ne pouvait être que lui : les taverniers étaient toujours au courant de tout dans leur établissement et il était suffisamment aisé de leur soutirer une information en échange de quelque monnaie.

           Evidemment, l'homme n'était tout d'abord par ravi à l'idée de me fournir des indications sur son client. Faignant l'ignorance, il disait ne pas connaître la victime et ne pas vouloir d'ennui, se concentrant davantage sur l'astiquage de son verre à bière que sur ma présence. Mais, et comme me l'avait si bien appris Sherlock Holmes, faire tourner un demi-souverain entre ses doigts permettait souvent de délier les langues les plus soudées. Les yeux du tavernier, derrière deux petits verres graisseux, fixaient la pièce qui s'agitait dans ma main tandis qu'il commençait petit à petit à se souvenir de la venue de Godfrey Norton, pas plus tard que la veille.

- C'était un grand monsieur, avec des cheveux noirs bien coiffés et une veste de smoking de la même couleur ? Oui, il est venu hier en fin d'après-midi. Je ne me rappelle pas de ce qu'il a commandé, mais je pourrais peut-être aller regarder cela dans l'arrière-boutique. Je conserve les notes pendant une bonne semaine avant de m'en débarrasser.

             Et alors qu'il me donnait des explications sur l'organisation de son marché, je crus sentir peser sur moi un regard insistant qui me fit froid dans le dos. Je me retournais à mainte reprise, discrètement pour ne pas éveiller les soupçons de mon interlocuteur, mais je ne fis face qu'à des têtes saoules qui ne me prêtaient aucune attention, conservant le nez dans leur verre. Mon intuition me disait de fuir cet endroit comme la peste mais je restais de marbre face à cet instinct militaire qui, bien des fois, m'avait pourtant sauvé la vie : Holmes m'avait confié une mission et l'ignorer ainsi reviendrait à perdre les grâces que mon ami avait mis tant de temps à me donner.

Le retour d'Irène Adler : a Sherlock Holmes storyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant