Chapitre 9 : M comme...

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            Mon étrange némésis m'avait donné rendez-vous dans un de ces entrepôts abandonnés du centre de Londres qui n'avaient pas résisté au développement exponentiel des produits et marchandises dû à la Révolution Industrielle et qui moisissaient à présent parmi les plus beaux bâtiments de notre pays, délaissés dans cette jungle urbaine. Bien qu'impatient à l'idée d'avoir le fin mot de l'histoire et de rencontrer ce personnage qui avait su attirer mon attention, je dus patienter toute la journée avant de me rendre en fiacre au lieu indiqué sur la missive, la convocation étant prévue pour dix-huit heures. Mon ami le docteur Watson avait donc largement eu le temps de se rendre au quartier général de Scotland Yard qui, je l'admets, nous serait certainement utile en temps voulu, et avait remis ma lettre à Lestrade avant de revenir à Baker Street où j'avais moi-même pu réunir les éléments essentiels à l'établissement de mon plan d'attaque. J'avais ensuite expliqué à Watson qu'il serait peut-être un outil essentiel à ma survie, mais certainement nécessaire à ma protection, et lui avais confié l'ensemble des vêtements qu'il se devait d'enfiler avant de l'obliger à quitter les lieux aussi discrètement que possible : afin d'être sûr que son infiltration fonctionnerait, il ne pouvait rester plus longtemps à Baker Street et devait filer aussitôt à Stepney Way où un de mes contacts ²l'attendait dans le parc pour l'engager une demie-journée durant comme jardinier. De cette manière, mon ami, en plus de gagner quelques sous qui pourraient aider à sa solde militaire, restait à côté de cet entrepôt désaffecté qui longeait Stepney Park.

           Je restais donc seul tout l'après-midi à attendre que l'heure ne vienne de prendre un fiacre. Le temps me parut long mais il me servit utilement à la réflexion : à quoi pouvait bien ressembler ce monsieur M ? Était-il réellement de ma trempe ou était-il supérieurement intelligent ? Jusqu'où s'étendait son réseau criminel ? Et surtout, qu'était devenue mademoiselle Adler ? Dix-sept heures venaient de sonner lorsque je me rendis compte qu'aucune de ces questions n'avaient trouvé de réponses. Lassé de penser à tout cela, je me levais de mon fauteuil et me préparais pour la grande rencontre.

          Comme convenu, l'entrepôt était suffisamment vide et isolé pour une rencontre clandestine. Ses barres métalliques commençaient à rouiller et à tomber en lambeau tandis que le grand parking qui avait un jour eu le privilège d'accueillir les fiacres et les squelettes des trains à vapeur qui sillonnaient maintenant l'Angleterre restait indubitablement désert. Si l'extérieur n'était pas rassurant, l'intérieur était pire : un ensemble de plate-formes étaient suspendues au-dessus d'un sol dont le centre était ouvert en un trou béant, certainement une ancienne cuve ayant jadis contenu du métal en fusion, et le seul éclairage qui permettait aux visiteurs de ne pas tomber à chaque fois qu'ils rencontraient un obstacle provenait de la haute fenêtre dont le verre brisé s'était répandu par terre, vingt-mètres plus bas. En pénétrant lentement dans le bâtiment, les mains dans le dos, observant scrupuleusement les lieux à la recherche de l'homme qui m'avait donné rendez-vous, je me rendis compte que les murs étaient recouverts d'une peinture rouge sang qui dessinaient des mots à mon attention :

                                                                   " SHERLOCK A DU CHIEN !"

       J'allais me demander quel genre de personnage pouvait bien être aussi grossier lorsque, sortant de nulle part, une ombre passa sur la plate-forme située face à moi et, les mains dans les poches, me salua presque amicalement.

- Monsieur Sherlock Holmes ! Quel honneur de voir que vous avez accepté mon invitation!

         Sa voix était enfantine, presque douce, et le fait de penser que cet individu pouvait être le génie du mal qui avait menacé ma vie et celle de mon frère me paraissait maintenant absurde. Il restait cependant dans la pénombre, ce qui m'empêchait de l'étudier de la tête aux pieds, mais je pus aisément déduire, par le timbre de sa voix et sa prestance, qu'il ne devait pas être plus âgé que moi.

Le retour d'Irène Adler : a Sherlock Holmes storyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant